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26 mars 2013 2 26 /03 /mars /2013 08:30

Aujourd'hui, nous allons suspendre notre regard sur un tableau de Jean-François de Troy : le Déjeuner d’huîtres. Ce ne sont pas les coquillages et crustacés qui arrêtent ici l'œil, mais la première représentation sur toile de bouteilles de champagne. Pour être d'une exactitude horlogère, il s'agit de l'une des deux premières représentations du flacon champenois primitif*. Peint en 1735, ce tableau est en effet le pendant du Déjeuner au jambon de Nicolas Lancret. Toutes deux commandées l'année précédente par Louis XV le bien aimé, ces deux scènes de genre amassent à la pelle les bouteilles d'effervescents de Champagne.

Destinés à orner les murs de la salle à manger des petits appartements de Versailles, ces deux tableaux décrivent des festivités culinaires, fourmillant de détails et débordant de vins autant que de vie. Au-delà de la différence de traitement (plutôt bourgeois pour le Jambon et aristocratique pour les Huîtres), la particularité du tableau de Jean-François de Troy tient à une originalité particulièrement avant-gardiste.Une bouteille de champagne vient tout juste d'être ouverte et son bouchon est arrêté en plein vol. « Bouchon : suspend ton vol au dessus du nid de froufrous ! »

Detail-bouchon-dejeuner-huitre.png

 

Cène de genre


Devant divertir un roi de retour de chasses, Jean-François de Troy ne se dépareille pas de sa morgue classique. Il reprend tout naturellement les codes de la représentation classique d'un repas christique dans la composition de sa scène de genre. Le Déjeuner d’huîtres tient plus des Noces de Cana de Veronese que du Repas de noces de Bruegel. Sa composition est en effet réfléchie pour le spectateur plus que pour le confort de ses participants, qui font face à l'observateur et non aux autres convives.

Comme dans le Déjeuner de chasse du même Jean-François de Troy, pour le même roi, la toile est chargée de détails, qui multipient les saynètes dans la scène. Mais ce qui ressort de cette fête apparement foutraque est la géométrie suivie par les regards. Disposés dans un jeu croisé, ces regards guident le spectateur vers un détail aussi excentré qu'incongru : un bouchon flottant. Il ne s'agit pas de pêche à l'huître, mais d'une intrusion de vie jaillissant dans le classicisme ambiant. Comme on devine les bruissements d'ailes dans la Femme au perroquet de Gustave Courbet, on entend ici le pop du bouchon bondissant tel le diable hors de sa boîte.

Dans leurs regards, on ressent également la surprise des gentilhommes. Le fameux moine Dom Pérignon n'ayant œuvré que quelques décennies auparavant, il faut s'imaginer que le champagne était alors un produit innovant. Si les effervescents champenois font désormais partie de la tradition viticole française, l'étonnement qui saisit tout à chacun dès qu'un bouchon saute a persisté. Du moins tant que l'on ose faire sauter le bouchon...

La sobriété étant devenue la règle sociale, les modes de service du champagne se veulent désormais sobres et tempérées. Le bouchon champenois a souvent la sortie timide, presque camouflée, voire à la sauvette. Cela évite de répandre le précieux nectar, mais on ne retrouve pas la classe de cette tablée aristocratique, qui a autant le chic dans la dégustation du champagne que de l'huître à la coquille. A noter dans les arts de la table que le seau à glace pour le champagne ne date pas d'hier. Un rafraîchissoir garde au frais les bouteilles, ou, comme on disait alors, sable le champagne. Et non pas le sabre, technique plus hussarde que fêtarde !

 


 

* : qui n'est pas sans rappeler la forme des champagnes de la maison Ruinart (groupe LVMH).

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commentaires

P
<br /> Ce bouchon qui flotte me fait penser à la surprise des spectateurs visionnant "L'Arrivée du train en gare de la Ciotat". L'occupation de l'espace par un bouchon ou une locomotive semble<br /> préoccuper avec constance la sensibilité de l'assemblée. Quel serait notre surprise aujourd"hui?<br />
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A
<br /> <br /> Ce procédé de flottement se retrouve également dans "le Chirst chassant les marchands du Temple" de Carl Bloch. Dans le cadre de ce tableau grandiloquent, la fiente d'un pigeon en suspens qui<br /> s'apprête à s'écraser sur le nez d'un fustigé en devient assez comique... Je trouve ça assez surprenant ;-)<br /> <br /> <br /> <br />