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11 novembre 2013 1 11 /11 /novembre /2013 08:30

Aujourd'hui, c'est l'armistice ! Mais pas encore le centenaire de ce qui devait être la der des ders. Profitons-en, tant que la mémoire n'est pas devenue un devoir ! Et quoi de mieux pour exhumer sans cérémonie les souvenirs d'êtres, de chairs et de sang que le Voyage au bout de la Nuit, écrit par Louis-Ferdinand Céline en 1932 et illustré par Jacques Tardi en 1988 ? Ne résumant pas les tranchées à une tragique répétition pour la seconde guerre d'échelle mondiale, ils redonnent vie à la routine des assauts aussi sommaires que des exécutions, ils font descendre les poilus de leurs statues patriotico-héroïques pour leur insuffler la crasse de leur surnom, ils décrivent à hauteur de troufion une farce guerrière qui ne ménage par son dindon.

Pour le dernier billet avant hibernation de ce blog, montons donc au champ d'horreur, la fleur de vigne au fusil !

 

Putain-de-Guerre-Tardi-Vernet-copie-1.png

 

Il était une fois la France des retranchés...

 

«  Le vin ne manque pas, mais la futaille est rare, (…) si vous voulez du vin, ménagez les tonneaux ! » Cet avis de l'Intendance des Armées Françaises rappelle que la guerre de position avait pour carburant le quart de rouge, ou rouquin selon l'argot rapporté du front par l'historien Jean-Pierre Verney. Dans notre extrait du Voyage au bout de la Nuit, il est logiquement question de vin blanc à l'époque de la guerre de mouvement. Le lourd cavalier Bardamu est alors en reconnaissance, nocturne, à la recherche du (fictif) bourg de Noirceur-sur-la-Lys. N'en menant pas large dans sa clinquante cuirasse de dragon, Bardamu sort soudain du cadre de sa mission (« une sorte d'audace, déserteuse il est vrai, mais insoupçonnée ») à la vision d'une trace de vie : une lueur. Tout sauf d'espoir, il s'agit d'un voyage ayant pour but Noirceur...

Dans le logis éclairé il trouve une famille endeuillée, pleurant sur la dépouille d'un jeune enfant, tué par des cavaliers allemands (« le coup de lance lui avait fait comme un axe pour la mort par le milieu du ventre »). Mais ce drame familial n'est pas pour attendrir le pragmatique Bardamu : « ils se mirent à gémir encore tous ensemble. Mais j'avais bien soif […] surtout du vin blanc, bien amer, celui qui réveille un peu. » Demandant s'il y avait une bouteille de vin à vendre dans la maison, il met un terme à la contrition familiale, pour enclencher une scène digne des ''braves gens'' de la Traversée de Paris (film réalisé par Claude Autant-Lara en 1956). Les jérémiades tournent court, pour laisser place aux négociations, dès lors qu'il est question de vendre une quille.

Passant du « y en a plus ! » (« les Allemands ont tout pris... pourtant on leur en avait donné de nous-mêmes et beaucoup... ») au « y en a plus que du très bon » (« cinq francs la bouteille »), l'absurdité des conventions a sauté pour« une grosse pièce ». Une vision de l'humanité attendue pour Louis-Ferdinand Céline, aussi désabusé que controversé (docteur Bardamu, misère des Bagatelles). Il pourrait d'ailleurs s'être inspiré de son expérience de cuirassier en 1914. Dans son illustration de cette scène, Jacques Tardi opte pour un cadre blême. La vignette est centrée sur l'enfant, recroquevillé dans sa tenue de marin et entouré des gémissements de sa famille. Au premier plan Bardamu est livide, ayant tout l'air réveillé par une vision on ne peut plus amère...

 

Pour finir ce 66ème billet, le blog Vin'Art va être mis en sommeil pour cet hiver, voire le prochain. Comme pour Adèle, ce sera donc une cryogénisation au blanc-sec ! Comme le chantait Claude Nougaro : « tu dormiras longtemps ». Merci lecteur pour... ta lecture !

 

 

 

       

[Illustration : détail de la planche 5 de Putain de Guerre 1917-1918-1919, texte de Jean-Pierre Verney et dessin de Jacques Tardi (éditions Casterman)]

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