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12 mars 2013 2 12 /03 /mars /2013 08:30

Aujourd'hui, nous allons regarder une des dernières scènes du film des Hommes et des Dieux. Dépeignant la vie d'une communauté de 8 moines cisterciens, le film de Xavier Beauvois n'est en rien le pendant masculin des 8 femmes de François Ozon. Même si glamours, les 8 acteurs en bure (magistral Lambert Wilson, souverain Michael Lonsdale, malicieux Jacques Herlin...) ne cherchent pas à résoudre une enquête policière, mais un choix cornélien dans l'Atlas algérien*.

Soit rester, malgré une violente instabilité civile, soit fuir, malgré les besoins de la population. Comme le veut la règle de Saint Benoît, l'avis faisait le moine. Le film place le spectateur face à ce dilemme, tandis que le drame est en train de se nouer autour du monastère de Thibirine. Jusqu'à l'issue fatale (de cette histoire vraie). En mars 1996, sept de ces moines sexagénaires sont enlevés et assassinés. Dix-sept ans après, les tenants et les aboutissants de ces meurtres restent incertains. Malgré le succés du film, ravivant l'émotion populaire, la procédure judiciaire française n'a toujours pas abouti.

La force des Hommes et des Dieux est de prendre l'allure d'un documentaire testamentaire. S'appuyant sur la correspondance des moines et une approche naturaliste (réalisation et direction des acteurs), le scénario d'Étienne Comar se fait oublier. Il ne laisse que plus facilement percer la bonté et la simplicité de ces hommes. Il n'est qu'un moment où les cantiques de la vie monastique sont interrompus et que le cinéma chamboule le tempo établi. C'est la scène finale qui nous intéresse. Celle du dernier repas, accalmie silencieuse avant le souffle de la tempête. Celle du dernier verre sifflé, chant de la vigne.

 

Des-hommes-et-des-dieux-de-Xavier-Beauvois-scene-lac-des-c.png

 

(acte IV, scène finale, quatriéme mouvement) Moderato et maestoso

 

Débutant comme une eucharistie imprompue, la dernière scène des Hommes et des Dieux devient une nouvelle Cène pour ces hommes de dieu. Sauf qu'ici il n'y a pas de Judas, le jus de treille remplaçant les apôtres absents. Cette parabole est accompagné par l'impétuosité et la violence païenne du thème final du Lac des Cygnes (Tchaikovski, 1877). Muette, la scène suit dans son déroulé les mouvements de la partition, proposant une chorégraphie de la dégustation. Sur l'introduction andante arrivent les bouteilles de vin, amenées tout en souplesse par frère Luc, le médecin et doyen de la communauté (joué par Michael Lonsdale). Au vu des étiquettes et de la forme des flacons, ces bouteilles sont à coup sûr bourguignonnes (de l'abbaye de Cîteaux?). S'ensuit le passage aux frères des verres, aussi remplis que dépareillés. Du ballon au verre à moutarde : peu importe le flacon !

Les regards et les sourires se croisent entre les frères, unis par le vin. Les sourires en retenue laissent deviner le bonheur de la communion. Cette joie éclate lors de la dégustation, du toast. Mais ce moment de réjouissance laisse place à une introspection où les visages se suspendent et les sourires vacillent. Chacun semble soudain savoir ce qui va arriver, la prémonition de la menace qui pèse sur eux vient rompre le mouvement allegro. Les larmes du vin nourrissent soudainement celles de l'assemblée et l'oppressent, alla breve. Cette prise de conscience fait d'ailleurs écho à l'intitulé d'un précédent film de Xavier Beauvois : N'oublie pas que tu vas mourir (1995).

N'ayant pas la vanité de suivre la passion christique, les moines paraissent deviner l'inéluctabilité de leur martyre. Le travelling de la caméra suit le ressac des émotions, balayant la table d'une extrémité à l'autre, se resserant de plus en plus sur les hommes, jusqu'à ne plus faire que des portraits s'enchaînant sur le poignant mouvement moderato e maestoso. L'amplitude païenne et grandiloquente (pour ne pas dire mélodramtique) de cette musique rompt avec l'austérité des chants grégoriens acapella qui enveloppaient le reste de la vie du monastère. La chasuble se décout et sous la trame désordonnée transparaît l'humanité et les doutes de chacun.

La maestria de cette séquence est brisée par la scène finale, celle des derniers instants de marche sous le frimas, chemin de croix qui conduit les 7 enlevés au suplice de Saint Jean-Baptiste l'Evangéliste. La Cène des Hommes et des Dieux est probablement l'un des moments les plus touchants du cinéma français contemporain. Si le thème du Lac des cygnes a des élans pompiers, cette rupture de rythme ne peut qu'atteindre le spectateur. Bercé par la dramaturgie documentaire du film, il se fait surprendre et se laisse désarmer par cette séquence, qui définit à elle seule l'abnégation.

 

 

 

* : en pratique, le film a été tourné dans un monastère marocain.  

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