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29 octobre 2012 1 29 /10 /octobre /2012 08:30

Aujourd’hui, nous allons parcourir Jacques le fataliste et son maître de Denis Diderot. Roman atypique de la fin du XVIIIème siècle, Jacques le fataliste peut d'abord sembler n'être qu'une enfilade de digressions donquichottesques. La longue parenthèse de l'auberge que nous allons évoquer souligne d'ailleurs cette filiation avec l’œuvre de Cervantes. Mais entre le siècle d'or espagnol et les Lumières, les contes philosophiques sont nés et Diderot prend une verve toute voltairienne pour dépeindre les guerres en dentelle ou les mœurs des campagnes.

A la fin de Jacques le fataliste, Diderot conduit donc Jacques et son maître à l’hôtel. Ils y trouvent une aubergiste encore plus bavarde que Jacques, qui commence à raconter l'histoire d'un autre voyageur : le marquis des Arcis. Suivant la rengaine du roman, cette histoire qu’elle raconte à Jacques et son maître est interrompue de multiples fois... notamment par l’aigreur de Jacques, agacé par cette pipelette qui l’empêche de poursuivre l’histoire de ses amours.

 

Jacques-le-fataliste-maitre-auberge-hotesse-champagne-histo.png

Si votre breuvage se rapporte à votre barvadage, vous êtes l’hôtesse des gueules de bois

Cahin-caha, le fil rouge du voyage de Jacques et de son maître est le récit inachevé des amours du valet. A chaque fois que le serviteur remet sur le métier cet ouvrage, la question est de savoir comment ce récit sera à nouveau interrompu. A peine repris, la trame narrative est ici interrompue par le retour de la femme de l’aubergiste. Prévenant l'irritation du lecteur, malmené par ces récits plus en pointillés qu'entrecroisés, le narrateur intervient et annonce : « qu’il n'est plus en (son) pouvoir de la renvoyer - pourquoi donc ? - c’est qu’elle se présente avec deux bouteilles de champagne, une dans chaque main, et qu’il est écrit là-haut que tout orateur qui s’adressera à Jacques avec cet exorde s’en fera nécessairement écouter ».

Le fatalisme proverbial de Jacques accueille donc ces bouteilles comme l’occasion d’un vin de la paix. Il se laisse même asperger du vin pétillant par leur hôtesse, l'auteur de l'Encyclopédie ne manquant pas de savoir que le champagne ne tâche pas. Au bout de quelques verre, la technique de séduction marche. Jacques est désormais hypnotisé par l'aubergiste, « la regardant avec des yeux dont le vin de Champagne avait augmenté la vivacité naturelle  ».

S'ensuit un long récit de l’hôtesse, l’histoire de madame de la Pommeraye*, émaillé d’interruptions opportune de Jacques (« j’en tremble : et il faut que je boive un coup pour me rassurer »), conduisant à l’apparition de nouvelles bouteilles, vidées jusqu’à ce que le récit s'achève. Arrivés au point final, le maître et son serviteur sont fins saouls. Si le premier s'endort immédiatement, le second s'agite. Il réveille son maître, qui lui demande :

 « À quelle heure as-tu résolu de te coucher?

 - Tout à l'heure, monsieur; c'est qu'il y a... c'est qu'il y a...

 - Qu'est-ce qu'il y a?

- Dans cette bouteille un reste qui s'éventerait. J'ai en horreur les bouteilles en vidange; cela me reviendrait en tête, quand je serais couché; et il n'en faudrait pas davantage pour m'empêcher de fermer l'œil. Notre hôtesse est, par ma foi, une excellente femme, et son vin de Champagne un excellent vin; ce serait dommage de le laisser éventer... Le voilà bientôt à couvert... et il ne s'éventera plus...»

Bien entendu Jacques n'en laissa pas perdre une goutte et « sablait deux ou trois rasades sans ponctuation, comme il s'exprimait, c'est-à-dire de la bouteille au verre, du verre à la bouche ». Après avoir écrasés leurs oreillers une grasse matinée de leurs têtes chaudes de vin, les deux voyageurs se réveillent. Si le maître ne présente pas de séquelles, Jaques est malade et de mauvaise humeur... Il semble donc que l'auteur de l'Encyclopédie ne connaisse pas la deuxième légende qui accompagne les vins de Champagne. S'ils ne tâchent, ils ne donneraient ni mal à la tête ni gueule de bois. Pour étayer ce propos, l'Union des Maisons de Champagne cite ainsi Maurice Constantin-Weyer (prix Goncourt 1928). Pour ce dernier, les champagnes « ont d'ailleurs une grande qualité : ils ne laissent pas le lendemain de souvenirs désagréables, si l'on s'est laissé entraîner à en boire un coup de plus qu'il n'était raisonnable de le faire ».

 



* : adapté par Robert Bresson en 1945 au cinéma, les dames du bois de Boulogne, avec des dialogues de Jean Cocteau


(Illustration, l’hôtesse aspergeant de champagne (à gauche), Monsieur des Arcis aux pieds de Madame de la Pommeraye (à droite), fonds documentaires de l’Université de Montpellier 3)

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