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30 mars 2011 3 30 /03 /mars /2011 23:14

Aujourd’hui nous allons lire une étude de Charles Baudelaire: Du Vin et du Hachisch, comparés comme moyens de multiplication de l’individualité. Cette oeuvre a initialement été publiée en 1851 dans le périodique Le Messager de l’Assemblée et accompagne les diverses éditions des Paradis Artificiels (pour une version numérique, voir WikiSource).

 

Autoportrait-Baudelaire-Influence-Haschisch-BNF.png

 

Baudelaire d'antan

 

Avant toute chose il faut remettre les choses dans leur contexte. En effet, les divers psychotropes étaient un lieu assez commun pour les Lettres durant la seconde moitié du XIXe siècle. Avoir les lois Evin et autres rapports Chabalier en tête serait purement anachronique, alors que le savant emblématique de l’époque affirmait que le «vin est la plus saine et la plus hygiénique des boissons»

 

Dans son article, Baudelaire évoque en parallèle vin et haschich (consommé alors sous forme de confiture verte: le dawamesk). S’il mêle alors le classicisme bachique de Balzac (Traité des Excitants Modernes, 1839) et l’exotisme des fantasias de Théophile Gautier (Le Club des haschichins, 1846), il est surtout original, et en avance sur son temps, en abordant les pans psychologiques et moraux de son sujet. Pour ne pas nous disperser, nous ne nous intéresserons  cependant ici qu’à la partie traitant Du Vin.

 

Portrait-Charles-Baudelaire-Gustave-Courbet.png

 

Rien n'égale la joie de l'homme qui boit, si ce n'est la joie du vin d'être bu

 

Ce texte à la prose élevée passe vite sur les descriptions assez ordinaires (puisque universelles?) de l’ivresse et de sa joie illusoire. En effet, le discours baudelairien veut  s’attacher à démontrer que «le vin est semblable à l’homme : on ne saura jamais jusqu’à quel point on peut l’estimer et le mépriser, l’aimer et le haïr». C’est alors que le poëte nous rapporte les propos du nectar. Aux glouglous du fond de bouteille font place des remerciements à celui qui l’a créé, à celui qu’il aguiche avec des promesses de volupté et d’oubli, jusqu’à la vibrante déclaration qu’«à eux deux ils feront un Dieu».

 

C’est alors que Baudelaire fait preuve d’anti-conformisme et surprend, bifurquant sans transition sur les sentiers de l’inattendu. Au lieu de se laisser emporter aux sommets de l’ivresse poétique propres aux partisans du Parnasse («l’Art pour l’Art»), il nous redescend sur terre, pile sur l’ivrognerie. On pourrait en effet démonter sa thèse en lui rétorquant que le vin ne peut grandir l’homme quand il l’abaisse à tremper son mufle dans le cloaque de l’alcoolisme. Baudelaire répond alors que sa thèse n’en reste pas moins valide: le vin est comme l’homme, ainsi «ses crimes sont égaux à ses vertus». Il met un point final à ce débat par un jugement sublime sur ses détracteurs potentiels :  «un homme qui ne boit que de l’eau a un secret à cacher à ses semblables

 

Baudelaire nous rapporte ensuite deux histoires, deux contes, dont je vous laisse le plaisir de la découverte (ou de la relecture). Arrive alors l’annonce de son dogme. On l’a vu, une fois que le désir d’unité, poursuivi par le vin et l’homme, est assouvi, naît une entité supérieure et suprême. On a donc affaire à une nouvelle trinité, vision païenne («panthéiste») un peu trop naïve et donc pondérée par le rappel que le vin ne fait qu'accentuer ce qui est dans chacun de nous (la méchanceté donnant un ivrogne exécrable, mais le bon pouvant aboutir au génie). On multiplie en effet une individualité, on ne peut ni perdre ce qui est latent, ni créer ou pallier à ce qui est absent.

 

 

En bonus une citation de Baudelaire à attendre et déclamer pour briller en bonne société:

 "Le vin et l’homme me font l’effet de deux lutteurs amis sans cesse combattant, sans cesse réconciliés. Le vaincu embrasse toujours le vainqueur."

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commentaires

N
En vrai bon vivant, Baudelaire à su écrire de magnifiques vers sur le vin et traduire toute l'âme de ce nectar !
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