Aujourd’hui nous allons écouter une chanson de Johnny Cash : He Turned The Water Into Wine. Revenant sur le premier miracle de Jésus Christ, ce spiritual folk est considéré comme une chanson secondaire (pour ne pas dire mineure) dans l’œuvre de Johnny Cash. Ce gospel écrit en 1968 lui tenait pourtant particulièrement à cœur, comme on peut le voir lors de l'interprétation qu'il en a fait, avec la Carter Family, lors du célèbre live at San Quentin.
He turned theater into divine
Le 29 février 1969, Johnny Cash donnait un concert exceptionnel. Non seulement il rassemblait sous le nom de Johnny Cash Show la crème du folk/rock de l'époque (the Carter Family, Carl Perkins et The Statler Brothers), mais il le faisait bénévolement et dans la prison d’état de San Quentin (Californie). Alors que l'ambiance du concert est passablement électrique (le personnel et l'établissement pénitentiaire étant clairement pris à partie par ses chansons), Johnny Cash surprend son auditoire avec une pause, « a serious moment. »
Il se lance dans un véritable prêche, sorte de rock around the cross ponctué par le boom-chika-boom qui est sa marque de fabrique musicale. Il évoque alors un voyage qu’il a réalisé en mai 1968 avec sa femme June Carter. Ce périple en Israël l’a conduit à Nazareth, en mer de Galilée, à Jérusalem et... à Cana. Comme s’il s’adressait à ses ouailles, il tient à raconter « un fait réel. Nous sommes allés dans le village de Cana, juste derrière les collines de Nazareth. Il y a une petite église où coule l’eau qui a servi au premier miracle de Jésus. (...) J’étais si impressionné en sortant de l’église, que, si jamais j’ai eu de l’inspiration, c'était à ce moment là. Et j’ai été inspiré par ce que je venais de voir et d’entendre. Je me suis exclamé dans un soupir : ‘‘il a changé l’eau en vin’’. »
Il dit alors avoir écrit sur la route du retour cette chanson, dans un souffle. Il enchaîne sur la chanson He Turned The Water Into Wine, aux sonorités countries de Nashville, avec en filigrane la ligne de baryton folk de Johnny Cash et la réponse en écho d'un chœur typiquement gospel, transformant le réfectoire de San Quentin un sanctuaire de "rockabillyturgic".
Quel chanteur oserait aujourd’hui se donner ainsi en spectacle dans une prison, y relater un simili-miracle et y chanter pareille ode, sans se ridiculiser, ni se faire huer ?
JC was a rockstar
Johnny Cash est un artiste résolument polymorphe. La vision que chacun a de lui est pareille à celle que l'on a au travers d'un kaléidoscope : complexe, mais forcément partielle. Tant que l'on n'a pas fait tourner le cylindre, on n'a pas pu juger de l'ensemble de ce qui est à voir. Mais une fois que l'on a changé la perspective, on ne peut plus réellement comparer avec ce qu'il y avait auparavant, il n'en reste plus qu'une ténue impression, pas forcément compatible avec l'actuelle mosaïque de formes et de couleurs. Avec J.R. Cash, il en est de même. On ne retient souvent qu'une facette de l'homme et on occulte le reste pour simplifier.
Certains voient en lui le Man in Black, le rebelle folk qui reprend son ode contre la machine carcérale de San Quentin dans la prison même. D’autres retiennent le chanteur de country aux chansons rythmées et comiques, telle A Boy Named Sue. On oublie généralement le fait qu’il était également un fervent croyant. Il croyait notamment en la rédemption et faisait de certaines chansons des sermons, appuyés par ses propres expériences et démons (alcoolisme et amphétamines).
Si une telle dévotion peut paraître improbable pour un auteur-interprète de rock 'n' roll, il faut se souvenir qu'aux origines de ce genre musical est le rhythm 'n' blues, qui descend lui-même du negro spiritual et autres gospel songs religieuses. A ses débuts, Elvis Presley était considéré comme un chanteur de gospel. Cet héritage musical a toujours été latent chez Johnny Cash. La légende veut que lors de sa première audition à Sun Records, en 1955, Johnny Cash se soit présenté comme un chanteur de gospel, et qu'il aie décidé d'interpréter des morceaux religieux. Son futur manager, Sam Phillips, lui aurait alors dit que le « gospel est un superbe genre, mais invendable. A moins d'être Mahalia Jackson. » L'histoire dit que Johnny Cash céda sur ce point et se fit connaître par son rock et sa country. C'est parce qu'il aurait décidé de revenir au gospel, et qu'il essuya un refus, qu'il aurait quitté Sun Records pour Columbia en 1957.
Pouvant enfin s'adonner aux chants religieux, Johnny Cash ne s'en priva pas. Selon lui, le premier miracle de Jésus Christ à Cana est une parabole sur les miracles du Christ en particulier et de tous ses actes en général. Ce qui sous-tend ce tout est la charité. Ainsi Johnny Cash revient-il également sur le multiplication des pains et des poissons, ainsi que les miracles suivants dans sa chanson. Contrairement à Saint Thomas, il n'a pas besoin de voir (ou boire ici?) pour croire et il en fait le thème central de ce morceau. Cette chanson aux résonances de charité avait logiquement toute sa place dans le concert de San Quentin.
Il est à noter que Johnny Cash en fait une version sensiblement différente dans le film Gospel Road : une histoire de Jésus (cliquer ici pour voir l'extrait). Cette pellicule a été tournée en Israël en 1972, Johnny Cash y fait le narrateur et le chanteur de la vie, de la mort et de la résurrection du Christ. Il faut bien dire (avec tout le respect que l'on a pour le défunt Man In Black) qu'il sombre ici dans un kitsch qui frise la parodie. Son rôle du prédicateur philosophant sur des reconstitutions qui annoncent plus La Vie de Brian des Monty Python, qu'elles ne s'inspirent de l'Evangile selon Saint Matthieu de Paolo Pasolini. A croire que pour donner cette forme à ce projet il n'avait pas bu que de l'eau, quoique lorsque l'on s'appelle JC...
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Cliquer ici pour lire un résumé de la légende de Cana et voir la version picturale de Véronese
Cliquer ici pour apercevoir la fugitive apparition du mythe de Cana dans les Aventures de Tintin
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