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18 juillet 2011 1 18 /07 /juillet /2011 19:59

Aujourd’hui nous allons écouter une chanson de Johnny Cash : He Turned The Water Into Wine. Revenant sur le premier miracle de Jésus Christ, ce spiritual folk est considéré comme une chanson secondaire (pour ne pas dire mineure) dans l’œuvre de Johnny Cash. Ce gospel écrit en 1968 lui tenait pourtant particulièrement à cœur, comme on peut le voir lors de l'interprétation qu'il en a fait, avec la Carter Family, lors du célèbre live at San Quentin.

 


He turned theater into divine

 

Le 29 février 1969, Johnny Cash donnait un concert exceptionnel. Non seulement il rassemblait sous le nom de Johnny Cash Show la crème du folk/rock de l'époque (the Carter Family, Carl Perkins et The Statler Brothers), mais il le faisait bénévolement et dans la prison d’état de San Quentin (Californie). Alors que l'ambiance du concert est passablement électrique (le personnel et l'établissement pénitentiaire étant clairement pris à partie par ses chansons), Johnny Cash surprend son auditoire avec une pause, « a serious moment. »

Il se lance dans un véritable prêche, sorte de rock around the cross  ponctué par le boom-chika-boom qui est sa marque de fabrique musicale. Il évoque alors un voyage qu’il a réalisé en mai 1968 avec sa femme June Carter. Ce périple en Israël l’a conduit à Nazareth, en mer de Galilée, à Jérusalem et... à Cana. Comme s’il s’adressait à ses ouailles, il tient à raconter « un fait réel. Nous sommes allés dans le village de Cana, juste derrière les collines de Nazareth. Il y a une petite église où coule l’eau qui a servi au premier miracle de Jésus. (...) J’étais si impressionné en sortant de l’église, que, si jamais j’ai eu de l’inspiration, c'était à ce moment là. Et j’ai été inspiré par ce que je venais de voir et d’entendre. Je me suis exclamé dans un soupir :  ‘‘il a changé l’eau en vin’’. » 

 

Il dit alors avoir écrit sur la route du retour cette chanson, dans un souffle. Il enchaîne sur la chanson He Turned The Water Into Wine, aux sonorités countries de Nashville, avec en filigrane la ligne de baryton folk de Johnny Cash et la réponse en écho d'un chœur typiquement gospel, transformant le réfectoire de San Quentin un sanctuaire de "rockabillyturgic".

Quel chanteur oserait aujourd’hui se donner ainsi en spectacle dans une prison, y relater un simili-miracle et y chanter pareille ode, sans se ridiculiser, ni se faire huer ? 

 

CashGospelRoad.png

 

JC was a rockstar

 

Johnny Cash est un artiste résolument polymorphe. La vision que chacun a de lui est pareille à celle que l'on a au travers d'un kaléidoscope : complexe, mais forcément partielle. Tant que l'on n'a pas fait tourner le cylindre, on n'a pas pu juger de l'ensemble de ce qui est à voir. Mais une fois que l'on a changé la perspective, on ne peut plus réellement comparer avec ce qu'il y avait auparavant, il n'en reste plus qu'une ténue impression, pas forcément compatible avec l'actuelle mosaïque de formes et de couleurs. Avec J.R. Cash, il en est de même. On ne retient souvent qu'une facette de l'homme et on occulte le reste pour simplifier.

Certains voient en lui le Man in Black, le rebelle folk qui reprend son ode contre la machine carcérale de San Quentin dans la prison même. D’autres retiennent le chanteur de country aux chansons rythmées et comiques, telle A Boy Named Sue. On oublie généralement le fait qu’il était également un fervent croyant. Il croyait notamment en la rédemption et faisait de certaines chansons des sermons, appuyés par ses propres expériences et démons (alcoolisme et amphétamines). 

Si une telle dévotion peut paraître improbable pour un auteur-interprète de rock 'n' roll, il faut se souvenir qu'aux origines de ce genre musical est le rhythm 'n' blues, qui descend lui-même du negro spiritual et autres gospel songs religieuses. A ses débuts, Elvis Presley était considéré comme un chanteur de gospel. Cet héritage musical a toujours été latent chez Johnny Cash. La légende veut que lors de sa première audition à Sun Records, en 1955, Johnny Cash se soit présenté comme un chanteur de gospel, et qu'il aie décidé d'interpréter des morceaux religieux. Son futur manager, Sam Phillips, lui aurait alors dit que le « gospel est un superbe genre, mais invendable. A moins d'être Mahalia Jackson. » L'histoire dit que Johnny Cash céda sur ce point et se fit connaître par son rock et sa country. C'est parce qu'il aurait décidé de revenir au gospel, et qu'il essuya un refus, qu'il aurait quitté Sun Records pour Columbia en 1957.

Pouvant enfin s'adonner aux chants religieux, Johnny Cash ne s'en priva pas. Selon lui, le premier miracle de Jésus Christ à Cana est une parabole sur les miracles du Christ en particulier et de tous ses actes en général. Ce qui sous-tend ce tout est la charité. Ainsi Johnny Cash revient-il également sur le multiplication des pains et des poissons, ainsi que les miracles suivants dans sa chanson. Contrairement à Saint Thomas, il n'a pas besoin de voir (ou boire ici?) pour croire et il en fait le thème central de ce morceau. Cette chanson aux résonances de charité avait logiquement toute sa place dans le concert de San Quentin.

Il est à noter que Johnny Cash en fait une version sensiblement différente dans le film Gospel Road : une histoire de Jésus (cliquer ici pour voir l'extrait). Cette pellicule a été tournée en Israël en 1972, Johnny Cash y fait le narrateur et le chanteur de la vie, de la mort et de la résurrection du Christ. Il faut bien dire (avec tout le respect que l'on a pour le défunt Man In Black) qu'il sombre ici dans un kitsch qui frise la parodie. Son rôle du prédicateur philosophant sur des reconstitutions qui annoncent plus La Vie de Brian des Monty Python, qu'elles ne s'inspirent de l'Evangile selon Saint Matthieu de Paolo Pasolini. A croire que pour donner cette forme à ce projet il n'avait pas bu que de l'eau, quoique lorsque l'on s'appelle JC...

 

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Cliquer ici pour lire un résumé de la légende de Cana et voir la version picturale de Véronese

Cliquer ici pour apercevoir la fugitive apparition du mythe de Cana dans les Aventures de Tintin

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22 mai 2011 7 22 /05 /mai /2011 23:38

Aujourd’hui nous allons écouter Spill the Wine, morceau écrit et interprété par Eric Burdon. Cette chanson de 1970 est le premier succès du groupe de funk américain War, le single étant arrivé à la 3e place du hit parade de l’époque. Pour un tube, Spill the Wine est particulièrement atypique. Il y a dans la forme son mélange des genres insolite (rock-tribal, pop cacophonique, voire rap latino). Quant au fond... Si les Temptations surfaient sur le Cloud Nine, on peut dire qu'Eric Burdon est quant à lui sur son Cloud Wine.

 

 

Delirium, tout sauf mince

Spill the Wine raconte un rêve aux allures de conte. Il est une fois, Eric Burdon qui se promène par un bel après-midi d’été. Il fait chaud, l’air lourd ronronne au rythme lancinant des bongos et maracas. Se reposant dans une verte prairie, le narrateur (« an overfed, long-haired leaping gnome ») s’assoupit. Il se met sans plus attendre à rêver : « I dreamed I was in an Hollywood movie/and I was the star of the movie. » Mais ce classique rêve de gloire cède sa place à des visions plus fantastiques. Transporté au sommet d’une montagne, il y est mis à nu devant une foule de filles kaléidoscopiques, de toutes les formes et de toutes les couleurs. Une femme évanescente arrive alors, et lui murmure à l’oreille... « Spill the wine, take that pearl. » Ce refrain martelé voit la chanson s’emballer et perdre tout semblant de cohérence. 

Si la rupture est consommée au niveau du (non)sens, elle l’est surtout au niveau de la rythmie et du changement d’air. On arrive à la moitié de la chanson, Eric se décide enfin à chanter. Jusque là Burdon avait un rôle de narrateur : il se contentait de (ra)conter. Son discours nonchalant cède la place à un emportement virulent, possédé. Sa voix de crooner blues en est tordue, portée par une orchestration latino-funk digne d’un Carlos Santana de kermesse mexicaine.

La chanson continue tant bien que mal. Sous le coup de l’intervention de la mystérieuse inconnue, Eric se rappelle qu’il est endormi et n’en comprend pas mieux en quoi un jet de vin lui permettrait de récupérer une quelconque perle... La femme réapparaît avec une bouteille de vin et alors qu’elle s’apprête à la boire, recommence à assener des hystériques « Spill the wine, take that pearl. » La chanson s'achève ainsi sur un Eric Burdon médusé par cette situation qui a tout du Sacré Graal des Monty Python.

 

SpillTheWine

 

 

La part des songes

Traiter les rêves est un classique de la chanson rock-psychédélique (la chanson A Day In The Life des Beatles, l’album Tales of Mystery & Imagination du Alan Parsons Project...). Spill the wine s’inscrit dans cette tradition du conte de faits qui ne reconnaît d'autre logique que la sienne. On peut cependant percevoir un aspect autobiographique ici et là. Eric Burdon, ancien Animal, a lui même tenté sa chance dans l’industrie californienne du rêve péroxydé. Ayant échoué dans cette reconversion, le couplet sur son rôle de star hollywoodienne prend une autre tournure. Mais si cette introduction raisonnée est facilement décryptable, l’onirisme de la suite du rêve est bien plus obscur, voire opaque quand on effleure le fantastique mystique.

Si l’on peut essayer de chercher un sens sous-jacent au reste de la chanson, il faut bien avouer que l’on ne peut l’imposer comme étant voulu. Ce serait une absurdité, comme si l’on voulait interpréter le discours du rêve de Martin Luther King à l’aune de sa libido enfantine refoulée, propre à la psychanlyse freudienne. Ceci étant dit, Spill the Wine a tout d’une chanson décrivant un accès de delirium tremens. C’est à dire une hallucinose due à un sevrage en alcool brutal et mal maîtrisé. En effet, si Burdon est parfaitement net dans l'histoire qu'il raconte, il pourrait être la proie d’un délire halluciantoire lié à un manque physiologique en éthanol. Dans ce cas la mystérieuse-femme-au-refrain-incompréhensible serait son surmoi le sommant de « jeter le vin (ou plutôt mettre fin aux excès alcooliques, nuance!) pour se refaire une virginité de nacre.» La morale de la chanson serait : "qui dort, s’avine." Ou du moins peut le faire en paix dans son subconscient, pour mieux ne plus y succomber dans la réalité.


Il est à noter que malgré cet aspect délicieusement barré, Spill the wine fait partie de la culture populaire américaine. Une référence apparaît ainsi dans un épisode du Prince de Bel-Air avec la reprise du couplet : 

In front of every kind of girl, there was

black ones, round ones, big ones, crazy ones

  

 

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20 avril 2011 3 20 /04 /avril /2011 21:39

Aujourd’hui nous allons écouter une chanson interprétée par Boris Vian : Je bois. Cette chanson est parue en 1956 et a été coécrite avec l’aide d’Alain Goraguer (arrangeur éclectique, de Bobby Lapointe ou Abd al Malik). Elle nous narre par la carte des mauvais vins les raisons de la déraison éthylique d’un alcoolique.

 

 

 

 

J’irai picoler sur vos tombes

 

Quand paraît cette chanson, Boris Vian a mis fin depuis déjà quelques années à ses carriéres littéraires. Il a pris comme un échec tout personnel le succès de son avatar Vernon Sullivan, tandis que les oeuvres plus intimes qui lui sont chères se trouvent dédaignées par le public. Ce complexe à la ‘‘Nino Ferrer’’ le conduit à orienter sa carrière vers ce qui a toujours été sa grande passion : le jazz. Trompettiste reconnu, il compose cependant toujours des chansons en français, qu’il interprète (le Déserteur, Je suis Snob...) ou fait interpréter (Fais moi mal Johnny, Rock and Roll Mops...).

 

Dés son introduction Je bois déploie une ambiance ouatée et jazzy en diable. On  est happé par une atmosphère crépusculaire paradoxalement opulente. Comme un déclin encore enluminé de sa richesse passée. Aux premières strophes, le décor lugubre finit de se matérialiser. Ici on broie du rouge pour s’en tacher et ne plus voir comme sobre on était souillé. C’est du moins ce qui ressort d’un monologue monocorde, égrenant des justifications  pour cette noyade dans la boisson, à défaut du fleuve (ce dernier étant évité autant par lâcheté que par paresse). Mais si le trompettiste semble plus empressé de souffler dans son instrument que dans un éthylotest, cette chanson aligne plus qu’un babil futile. Saoul l'aviné, le sage !

 

PiscineMolitor

 

La philospohie dans le comptoir

 

La chanson prend rapidement une dimension effleurant le champ philosophique. Elle en dit peu tout en se demandant ce qui est beaucoup : le pourquoi de la vie et de son acceptation atone par l'homme résigné. On peut donc en venir à des questionnements assez existentiels. Et grâce à qui ? À un homme passablement éméché, nous prenant comme un confident de comptoir; alors qu'il édicte une philosophie de la vie fatalement passive et tristement acceptée. Alors que l'on pouvait croire à une thèse tenant du nihilisme nietszchéen (faisant du suicide une source d'espoir ultime), on a plutôt une illustration du mythe de Sisyphe selon Albert Camus. La révolte salvatrice de l'ordre social se faisant attendre.

Des pointes d’humour surréalistes transparaissent d'ailleurs. Si elles ne sont pas aussi visibles que dans d’autres oeuvres de Vian (On n’est pas là pour se faire engueuler, la Complainte du Progrès,...), elles n'en sont peut-être que plus durables/moins facilement éventées. Ainsi le ‘‘bois’’ qui est mâché, rongé et sculpté jusqu’à prendre tout son sens avec sa ‘‘gueule’‘.

Alors oui, effectivement cette chanson n'est pas très subtile et préfère écumer les troquets plutôt que les jours, mais c'est assumé dans l'optique de questionner celui qui veut bien s'y prêter.

 

 À écouter en complément :

La version de Philippe Katerine (dans l'album collectif À Boris Vian, on n'est pas là pour se faire engueuler, 2009) est également à écouter. En donnant moins de nonchalance et de détachement au chant,  Katerine rend plus perceptible le comique qui s'y trouve.

En voici un aperçu dans l’extrait suivant du film «Gainsbourg, Vie héroïque» (Joan Sfar, 2010) où Je bois et Intoxicated man sont entremêlées avec bonheur.

 

 

 

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22 mars 2011 2 22 /03 /mars /2011 23:12

 

Aujourd’hui, nous allons écouter une chanson écrite par Claude Nougaro et Jacques Datin: Je suis sous... (Marie-Christine). interprétée en 1964 par le petit taureau. L'amoureux éconduit (et passablement éméché) qui tente de reconquérir sa belle Marie-Christine est à écouter ici et à voir  (après 1'40").

 

Nougaro-Claude-Album-Marie-Christine.png

 

Claude a la joie

 

Ici, l’homme à l’accent de swing et aux semelles toulousaines fait des infidélités à son registre musical de prédilection. Pour l'ambiance jazzy, vous pouvez repasser! Les reprises raffinées de thèmes connus (le Blue Rondo a la Turk de Dave Brubeck devenant À Bout de Souffle) ont cédé la place à une orchestre de piano bar, arrondissant probablement ses fins de mois dans diverses bals musettes...

 

Il part donc en goguette, pour ne pas dire guinguette, et à la première écoute on en vient même à se demander s’il ne donne pas dans la chanson à... boire!? En effet, auditivement on est submergé par l’impression de fouillis gaiement musical. Lui-même martelé par un rythme syncopé, alors que les inflexions ondulantes du chant de Nougaro miment des choeurs de bacchanales avinées...

 

Mais il n’y a pas que l’atmosphère musicale qui soit atypique pour du ''Nougaro''. Lui qui a l'amour du vers finement ciselé et de la verve abondante, le voilà donnant dans la lourde redondance et s'empêtrant dans un vocabulaire vulgairement familier.

 

Une chanson à laquelle il ne faut plus soumettre ses oreilles? Et bien non!

 

 

 

Le jazz e(n faisan)t la java

 

Pour bien apprécier cette chanson, il faut la laisser se décanter, puis l'écouter jusqu'à s'en imprégner. Alors son style rond de fonflon ne masque plus le reste de ses éléments et au contraire les bonifie. Ainsi, on discerne sous le ridicule rythme de ''montagne russe'' les tressaillements pathétiquement amoureux d'une outre-à-vin, s'essoufflant comme un accordéon pour mieux se regonfler. Car si le chant de velours de Nougaro ne peut s'empêcher de transpercer cette chanson a priori légère, c'est que l'on n'a pas à faire avec une simple parodie éthylique de la scène du balcon de Roméo et Juliette (Acte II, scène 2, Shakespeare). Si un foisonnement de jeux de mots égaie le propos, leur concentration que leur faisant perdre toute subtilité, il ne faut pas prendre cette chanson pour un simple exercice de style "populaire" (Nougaro s'en revendiquant au contraire,  étant un adorateur invétéré d'Édith Piaf). 

 

Au final, Nougaro et Dantin n'ont-ils pas ici cherché à illustrer l'antique In Vino Veritas?

À première ouïe, c'est une vision caricaturale et littérale qui nous est servie: rien ne sert de mentir, la vérité toujours transparaît. Mais aussi ridiculement (ou désespérément?) que cela puisse sembler, ne peut-on pas voir sous la carapace de l'ivrogne tapageur le coeur de l'amant désemparé, car rejeté? Sous l'homme saoul, c'est le Je qui a aimé et qui à nouveau voudrait l'être qui apparaît. Il est désespérément repentant et se croyant prêt à pouvoir tout changer espère le retour de sa Dulcinée. Sens quelque peu laborieux et un peu trop studieux, mais au combien tolérant et universel.

 

Je suis sous... (Marie-Christine) une chanson qui a soif... soif... soif d'amour!

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