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13 septembre 2011 2 13 /09 /septembre /2011 19:05

Aujourd’hui, nous allons nous pencher sur le marronnier viticole par excellence : le numéro spécial vin. En jargon journalistique, un marronnier est une enquête qui ressort des tiroirs de rédactions chaque année. Pour le reconnaître, c'est facile : le titre et les enjeux n'ont pas changé depuis la précédente édition. Parmi ces dossiers récurrents, les plus emblématiques sont « les francs-maçons en France » de Marianne, « le classement des meilleurs hôpitaux par régions » du Nouvel Observateur, « les 200 qui font la France » de Challenges... Dans la jungle des marronniers, le « Spécial Vin »c'est l'industrie de la crème de châtaigne, à en faire pâlir Clément Faugier.


Rendez-vous incontournables, les éditions spéciales du Point et du Figaro annoncent l’approche des foires aux vins automnales comme les fleuristes et les chocolatiers nous rappellent chaque année la fête des mères. En 2011, une nouvelle pousse veut nous guider dans le langage des vignes. Avec la réputée Revue des Vins de France comme tuteur, le quotidien national Libération publie son premier numéro spécial vin. Mais cet intéressant supplément sur « le vin grandeur nature » mérite un petit complément pour avoir toutes les cartes, et le terroir, en main.

 

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C'est un peu court jeune homme

 

Paraissant entre le concours du vigneron-qui-commence-le-premier-ses-vendanges-sur-TF1* et l’arrivée du Beaujolais Nouveau, les hors-séries vins ont pour vocation de dresser un portrait de la filière de la vigne et du vin. Ce qui est superbement fait dans le numéro spécial de Libé. Les photographies de Luc Manago s’y déploient comme autant de pampres, happant notre regard et donnant une grandeur aussi épique qu’organique aux travaux des vignerons décrits dans des portraits attachants, émouvants, bref : alléchants.

 

En filigrane de ces superbes portraits, on sent cependant une ligne éditoriale beaucoup trop obnubilée par le concept du « bio » (regroupant ici les viticultures biologiques, biodynamiques, naturelles et affiliées sans s’en vanter). Normal me direz-vous, c’est le thème de ce numéro. Oui mais le tout manque d’objectivité et de recul : ici c’est une mode qui est suivie, sans la remettre en cause, ni porter la moindre attention aux viticultures alternatives qui émergent également. Comme Edmond Rostand le faisait déclamer à son Cyrano de Bergerac : « on pouvait dire... Oh ! Dieu ! Bien des choses en somme. En variant le ton ».

 

Au lieu de résumer les vignerons conventionnels à des « flemmards » qui se reposent sur l’usage des produits phytosanitaires chimiques au vignoble et sur l’œnotechnologie en cave, il aurait pu (et même dû) être fait état de la viticulture raisonné, qui n'utilise un intrant qu’en cas d’absolue nécessité. Démarche qui s’étend d’ailleurs à toute la viticulture grâce au plan Ecophyto 2018 (objectif de réduction des doses de produits par deux). Et si le dossier revient sur la dérive de certains vignerons en bio « travaillant comme des cochons », il semblerait que ce soit seulement dans les travaux de cave. Quid de la pollution en cuivre et en soufre des sols de vignerons bio traitant trop ? En effet, la doctrine de la bio est d’utiliser des produits non-chimiques (''naturels''), qui ne sont pas pour autant moins dangereux pour l’environnement.

 

Une critique de la biodynamie aurait également été la bienvenue. Car cette viticulture reste bien constituée de « pratiques ésotériques », héritées du l’anthroposophe Rudolf Steiner (Allemagne, début du XXe siècle). Si l’impact des cycles lunaires sur le développement de la vigne paraît recevable, le recours à des calendriers astrologiques décidant des jours où il vaut mieux travailler en cave ou au vignoble l'est moins. De même le recours à d’obscures préparations chiffrées pour masquer leur composition abracadabrante laisse perplexe. La préparation 500 revient ainsi à de la bouse de vache introduite dans une corne et enterrée...

 

Dans ce hors-série, les amalgames entre soufre et SO2 sont également sources de désarroi. Ca sulfite de confondre les termes ! Le SO2 est l’anhydride sulfureux, ou sulfite, que l’on utilise durant les processus de vinification pour garantir la conservation des arômes et prévenir des défauts. Le soufre c’est le composé actif de produits phytosanitaires utilisés à la vigne, où il doit rester. Dans le vin on trouve bien des composés sulfurés, mais ils témoignent d’un défaut, pas de la trace de l’allergène SO2.

 

Au final, ce qui déçoit dans ce numéro, c’est le suivi des modes sans que celles-ci soient discutées ou même remises à plat. Que le fantasme populaire, qui ferait du critique américain Robert Parker Jr. le responsable de la coca-colisation des vins français, soit repris tel quel du documentaire Mondo Vino (Jonathan Nossiter, 2003) ne choque en soit plus : c’est un fait tellement admis que l’on ne peut hélas plus en débattre. Mais alors il faudrait un peu de cohérence, si Robert Parker est le fossoyeur de la french wine touch, comment peut-il être présenté dans les portraits des vins M. Chapoutier et Pontet-Canet comme un découvreur de talents... atypiques ?

 

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Tar' ta truffe à la rentrée

 

Autre phénomène de saison : la publication en pagaille des guides d’achat millésimés 2012. Toujours en quête d'innovation, les Gault & Millau, Bettane & Dessauve et autres Hachette n’ont pas froid aux yeux quand il s’agit d’innover pour attirer le chaland. Après les CD-ROM et la clé d’accès à un site internet exclusif, voilà que ces supports papiers se penchent sur le phénomène des blogs**. Septembre c’est la rentrée littéraire, le monde du vin ne fait exception qu’en donnant dans la re-édition, et c’est peut-être là qu’est la vraie parkerisation du vin : le peu d’inattendu et le manque d’originalité.

 

Mais pour qui a l’instinct porcin, les racines d’un marronnier peuvent être riches en truffes, pépites d’or noir à débusquer. En 2010 on avait le Petit Dictionnaire Absurde & Impertinent de la Vigne et du Vin de Jean-Pierre Gauffre (éditions Féret) qui se terrait sous la canopée des hors-séries, en 2011 on a le Numéro Spécial Pinard de Fluide Glacial, qui se cachait sous la pile des Spécial Vin de l’Express.

 

Véritable bouffée d’air frais, ces dessins avinés rappellent que la loi Evin n’empêche pas de rire du vin. Alors oui le Spécial Pinard de Fluide Glacial faisait moins classe sur les plages que celui institutionnel de l’Express, mais « qu’importe le flacon ». L’âge de véraison n’est cependant pas encore arrivé pour Fluide Glacial, la reprise de l’amalgame entre consommation de vin et cancer fait un peu tache (mythe urbain de l’Institut National du Cancer, 2009). Quoiqu’il en soit il reste de très bons strips, comme le Portrait du Frimeur par Patcab et Fabcaro, qui clôture cette rentrée littéraire.


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* : en 2011 il semblerait que ce soit le domaine de Rombeau de Rivesaltes qui remporte le titre. Avec un début de récolte le 4 août, c’était un jeudi et la saint Vianney.


** : Bon, j’ai vérifié, Nicolas de Rouyn n’a pas relevé Vin’Art pour le Bettane & Desseauve 2012 => tant pis pour la consécration avant la fin du monde !

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commentaires

N
Fluide glacial a toujours su mettre le doigt sur les sujets les plus polémiques, cependant quoi qu'il en soit ils arrivent régulièrement à dénoncer certaines vérités !
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A
Si je puis me faire mettre, le 4 août n'est pas la saint vianney, mais la saint jean-marie Vianney (et oui, Vianney est à l'origine un nom de famille), curé d'Ars (dans la Dombes, région<br /> marécageuse de l'Ain). L'article Wiki à son sujet n'est pas mal fait.
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V
<br /> <br /> Ce que Wiki dit, Dieu dit !<br /> <br /> <br /> <br />