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27 juin 2011 1 27 /06 /juin /2011 19:48

Aujourd’hui nous allons nous intéresser à la feuille de vigne, et à sa place d'accessoire intime dans l’art occidental. Symbole bachique durant les temps antiques, la feuille de vigne s’est par la suite transformée en un voile de pudeur. Ainsi utilisée pour masquer l’indécent, elle est devenue la marque de la censure. C’est le cas de la peinture de Francis Picabia (ci-dessous). La Feuille de Vigne recouvre son oeuvre des Yeux Chauds qui avait causé un vif scandale lors de son exposition au Salon d’Automne de 1921.

 

Picabia1922

 

 

Une origine mi-figue, mi-feuille de raisin

 

L’utilisation des feuilles de vigne comme cache-sexe trouve son origine dans la Bible. Alors que l’Humanité (réduite à Adam et Eve*) connaît le paradis terrestre, Adam et Eve succombent à la Tentation et goûtent le seul fruit du jardin d’Eden qui leur sot défendu. Ils se rendent soudain compte de leur nudité et en prennent honte :

 

« Et les yeux de tous deux furent ouverts ; ils connurent qu'ils étaient nus, et ils cousirent ensemble des feuilles de figuier, et s'en firent des ceintures » (Genèse 3 : 7)

 

Initialement ce n’était pas une feuille de vigne mais de figuier qu’Adam et Eve ont utilisé pour se couvrir. Il faut dire que les feuilles de ces deux espèces sont assez proches et peuvent prêter à confusion. Ainsi la feuille du cépage Jacquez est connue en ampélographie (étude des caractères des cépages) comme ayant un aspect « feuille de figuier » caractéristique. Même si le Jacquez est un hybride producteur direct, issu de croisements franco-américains, qui date de la fin du XIXe, l’hypothèse d’une erreur de représentation faisant glisser le premier sous-vêtement de la feuille de figuier à celle de vigne reste plausible. Peut-être la mythologie chrétienne associée au vin (Cana, le Pressoir Mystique) a-t-elle poussé à cette uniformisation. A moins que les vrilles de vigne permettent un meilleur maintien de la feuille ? Les feuilles semblent généralement voleter dans l’air sur les représentations de ce mythe, à croire qu’elles tiennent à... l’anthocyanolite ?

 

FigLeafPlaster1857

 

 

« Cachez cet entre-rein que je ne saurais voir »

 

En tant que première manifestation du Péché Originel, c'est bien logiquement que cette feuille (vigne, figuier : même combat), est devenue le symbole de la pudeur et de la convenance sociale. Elle a pris l'allure d'un ajout puritain incontournable, réclamé par la pudeur bigotte, qui s'indigne devant les nus antiques, voire modernes (comme ceux réalisés lors de périodes plus libérales, type Renaissance). Une réplique du David de Michel-Ange est ainsi connue pour avoir choqué la Reine Victoria. La copie en plâtre exposée dans le Victoria & Albert Museum (Londres) s'est donc vue adjoindre un cache-sexe feuillu, accessoire toujours prêt à être accroché en cas de visite royale impromptue.

 

Véritable outil de censure, par bien-pensance plus que bienséance, la feuille viticole a saturé bon nombre de représentations artistiques. Le cas le plus célèbre est celui de la fresque florentine de Massacio (1425), l’Expulsion du jardin d’Eden, sur laquelle des feuilles de vignes ont été ajoutées a posteriori. La représentation d'Adam et Eve, chassés de l’Eden dans un pagne de feuilles de vignes, s'est depuis bien ancrée dans la culture populaire. Si l'on revient au Livre (Gn 3 : 21), on note cependant qu'avant de renvoyer Adam et Eve, Dieu leur a cousu des tuniques de peaux dont ils se sont vêtus. Mais les peaux de bêtes (païennes ou trop recouvrantes?) n'ont pas eu les faveurs des pères de l'Eglise, et c'est la légère feuille de vigne qui est devenu le plus simple des appareils.

 

De nos jours le symbole est resté, mais paraît bien caduc après des tableaux comme l'Origine du Monde de Gustave Courbet (1866) et maintenant qu'une effeuilleuse ne désigne pas forcément une ouvrière viticole. Le code puritain est toujours repris, mais est le plus souvent parodié. Dans le clip de la Salsa du Démon du Grand Orchestre du Splendid (1980), on voit ainsi un Coluche démoniaque se parer d'une grappe de raisins, détournant ainsi la règle des convenances sociétales en une burlesque grossièreté, qui aurait bien mérité un moule de plâtre à une certaine époque.


 

* : Lilith, première femme d’Adam, n’apparaît pas précisément dans la Bible canonique.

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