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23 août 2011 2 23 /08 /août /2011 11:55

Aujourd’hui nous allons lire Paris est une Fête d’Ernest Hemingway. Dernier roman sur lequel il travaillait avant de se suicider en 1961, Paris est une fête a été publiée de manière posthume en France en 1964*. Ce roman autobiographique revient sur les  premières années d’Hemingway à Paris, époque cruciale où il met un terme à ses activités de journaliste et devient un écrivain à part entière. Dans ses ‘vignettes parisiennes’ on y retrouve le Paris d’antan, à la fois exotique (le chevrier de la rue Descartes) ou innocent (les naïves courses cyclistes du Vélodrome d’Hiver). Mais plus que des anecdotes, les récits de Paris est une Fête sont ponctués par les enchaînement de repas où vin est un aliment aussi essentiel que la french baguette.

 

HemingwayFete.png 

J’ai deux amours, le vin de pays et Paris

 

L’écriture d’Ernest Hemingway est réputée pour son utilisation parcimonieuse des mots. Il cherche le ‘mot juste’ et supprime tout ce qu'il juge superflu. Le résultat est plus qu’économe. Ce n’est que par une véritable avarice qu’il parvient à écrire la phrase la plus vraie possible. Erigeant la litote comme dogme, il réduit ici l’évocation de sa période parisienne (1921-1923) à une succession de vignettes. Si les souvenirs évoqués sont imprécis dans leur enchaînement, le détail des dialogues et des anecdotes donnent à cet exercice de mémoire l’aspect d’un fidèle compte-rendu de la vie de l'après guerre, où la consommation de vin est plus que courante.

 

Dans Paris est une Fête, Ernest Hemingway se prête à un véritable tour des vins de France, comme on peut le voir dans la sélection (non exhaustive) qui suit. On trouve quelques vins rouges, comme un château-neuf-du-pape lors d’un déjeuner d’affaire avec Ernest Walsh, une bouteille de Saint-Emilion pour passer sa colère dans les transports ferroviaires, du vin rouge algérien dans un bouchon de Lyon... Mais il semble que la préférence d’Ernest Hemingway aille pour les vins blancs (vins de desserts exclus). Au restaurant du Bas-Meudon, c’est « un merveilleux vin blanc qui ressemblait à du muscadet » qui accompagne une friture de goujons. Un autre jour, l’attente aux champs de course d’Enghien-Soisy est quant à elle égayée par une bouteille de vin blanc, la victoire étant ensuite célébrée avec « des huîtres et du crabe à la mexicaine, avec quelques verres de sancerre ». Le souvenir des vacances en Autriche est lui évoqué par les vins blancs de l’année, tout comme l’escapade helvétique qui est réduite à un accord vins blancs de Sion-truites au bleu. Cette affection pour les vins blancs se conclue par l’apothéose des caisses de mâcons vidées par Hemingway et Fitzgerald dans leur invraisemblable voyage en automobile Lyon-Paris. 

 

On l’aura compris, le vin aura été un composant essentiel de l’expérience parisienne d’Ernest Hemingway. Pour résumer le bonheur de sa vie d’alors, il déclare : « nous mangions bien et pour pas cher, nous buvions bien et pour pas cher, et nous dormions bien, et au chaud , ensemble, et nous nous aimions ». Boire pour pas cher à Paris signifie à l'époque s'approvisionner aux halles de vin (Hemingway aurait fréquenté celle des quais de Seine, prêt de Saint-Germain). Des tonneaux de toutes origines affluent alors aux entrepôts à vin de Bercy, le plus grand marché de vin au monde. Dans ces chais, assemblages et embouteillages y sont réalisés, la mention « embouteillée au domaine » ne se généralisant que dans les années 1970 pour les vins de consommation courante.

 

De nombreux alcools disparaissent des verres dans Paris est une Fête : rhum St James, bières belges, kirsch suisse... Car si Paris est « la ville la mieux faite pour permettre à un écrivain d'écrire », les travaux de rédaction d’Hemingway dans son café attitré (la Closerie des Lilas) sont généralement alcoolisés. C’est ce genre d’habitude qui donnera la réputation d’alcooliques notoires à la « génération perdue ».


HemingwayCitation.png

 

Drinkin’ ‘bout my generation

 

Dans les années 1920, la vie culturelle parisienne était dans une phase d’ébullition créative (cf. la pléiade des Picasso, Buñuel, Man Ray et Matisse que l’on croise dans le film Minuit à Paris de Woody Allen). Parmi ces artistes, un groupe d’écrivains américains s’est spontanément formé et fut rapidement baptisé par les critiques littéraires « la génération perdue ». En plus d’Ernest Hemingway, on y trouve notamment les romanciers F. Scott Fitzgerald (Gatsby le Magnifique), James Joyce (Ulysse) et John Steinbeck (Des Souris et des Hommes), ainsi que le poète T.S. Elliot (The Waste Land).

 

Dans Paris est une fête, Ernest Hemingway attribue l’origine de l’expression « génération perdue » à Miss Stein, écrivaine américaine considérée comme une révélatrice des talents de l’époque. Gertrude Stein raconte à Ernest Hemingway qu’elle est allée se plaindre à un garagiste de la lenteur d’un de ses employés. Ce dernier (par ailleurs conscrit de 1918), n’effectuant pas les réparations de l’allumage de la Ford T de Miss Stein. Le patron de ce garage a alors déclaré à son commis : « vous êtes tous une génération perdue ». Miss Stein reprend immédiatement cette expression à son compte et l’applique au groupe d’Hemingway et de ses amis, « vous jeunes gens qui avez fait la guerre (...) vous ne respectez rien, vous vous tuez à boire. » 

 

Malgré les arguments d’Hemingway sur sa sobriété et celle du jeune garagiste, le concept de génération littéraire perdue est restée, taché de lie-de-vin. Le terme de génération perdue témoigne d’un gâchis humain terrible, les talents commençant par être corrompus par la Grande Guerre et finissant noyés dans l’alcoolisme. Ernest Hemingway refuse cet amalgame entre traumatisme guerrier et contre-coup éthylique. Il s’amuse même des légendes nées de cette période, précisant que lors d’une après-midi passée avec James Joyce, « nous commandâmes des sherrys secs, bien que vous ayez lu que nous buvions exclusivement du vin blanc de Suisse ».

 

A l’occasion de réflexions sur les effets des vins de Mâcon sur F. Scott Fitzgerald (« il était difficile de le tenir pour alcoolique tant il supportait mal l’alcool »), Ernest Hemingway présente la consommation quotidienne de vin comme une coutume locale plutôt qu’une addiction dangereuse. « En Europe nous considérions alors le vin comme un aliment normal et sain et aussi comme une grande source de bonheur, de bien-être et de plaisir. Boire du vin n’était pas un signe de snobisme ou de raffinement, ni une religion ; c’était aussi naturel que de manger, et, quant à moi, aussi nécessaire (...). » Avec cette vibrante déclaration d’amour du vin, Hemingway veille surtout à sa réputation d’aventurier, ne voulant pas passer pour un snob (ou pire, « un poisson-pilote pour riches ») auprès de son lectorat américain. Le public français lui, n’a quant à lui pas de doute sur la rusticité de sa consommation de vin : « au nègre de Toulouse, nous buvions du bon vin de Cahors, en quart, en demi-carafes ou en carafes, généralement coupé d’eau dans la proportion d‘un tiers. A la maison, au-dessus de la scierie, nous avions un vin de Corse connu mais peu coûteux. Il était si corsé que l’on pouvait y ajouter son volume d’eau sans le rendre totalement insipide. »


 

* : A l’occasion du cinquantenaire de la mort d’Ernest Hemingway, ces « vignettes parisiennes » ont été remaniées et à nouveau traduites, c’est de cette version 2011 que sont tirées les citations.

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commentaires

H
<br /> Une citation supplémentaire d'Ernest, juste pour compléter ;-)<br /> "My only regret in life is that I did not drink more wine"<br /> <br /> <br />
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