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11 novembre 2013 1 11 /11 /novembre /2013 08:30

Aujourd'hui, c'est l'armistice ! Mais pas encore le centenaire de ce qui devait être la der des ders. Profitons-en, tant que la mémoire n'est pas devenue un devoir ! Et quoi de mieux pour exhumer sans cérémonie les souvenirs d'êtres, de chairs et de sang que le Voyage au bout de la Nuit, écrit par Louis-Ferdinand Céline en 1932 et illustré par Jacques Tardi en 1988 ? Ne résumant pas les tranchées à une tragique répétition pour la seconde guerre d'échelle mondiale, ils redonnent vie à la routine des assauts aussi sommaires que des exécutions, ils font descendre les poilus de leurs statues patriotico-héroïques pour leur insuffler la crasse de leur surnom, ils décrivent à hauteur de troufion une farce guerrière qui ne ménage par son dindon.

Pour le dernier billet avant hibernation de ce blog, montons donc au champ d'horreur, la fleur de vigne au fusil !

 

Putain-de-Guerre-Tardi-Vernet-copie-1.png

 

Il était une fois la France des retranchés...

 

«  Le vin ne manque pas, mais la futaille est rare, (…) si vous voulez du vin, ménagez les tonneaux ! » Cet avis de l'Intendance des Armées Françaises rappelle que la guerre de position avait pour carburant le quart de rouge, ou rouquin selon l'argot rapporté du front par l'historien Jean-Pierre Verney. Dans notre extrait du Voyage au bout de la Nuit, il est logiquement question de vin blanc à l'époque de la guerre de mouvement. Le lourd cavalier Bardamu est alors en reconnaissance, nocturne, à la recherche du (fictif) bourg de Noirceur-sur-la-Lys. N'en menant pas large dans sa clinquante cuirasse de dragon, Bardamu sort soudain du cadre de sa mission (« une sorte d'audace, déserteuse il est vrai, mais insoupçonnée ») à la vision d'une trace de vie : une lueur. Tout sauf d'espoir, il s'agit d'un voyage ayant pour but Noirceur...

Dans le logis éclairé il trouve une famille endeuillée, pleurant sur la dépouille d'un jeune enfant, tué par des cavaliers allemands (« le coup de lance lui avait fait comme un axe pour la mort par le milieu du ventre »). Mais ce drame familial n'est pas pour attendrir le pragmatique Bardamu : « ils se mirent à gémir encore tous ensemble. Mais j'avais bien soif […] surtout du vin blanc, bien amer, celui qui réveille un peu. » Demandant s'il y avait une bouteille de vin à vendre dans la maison, il met un terme à la contrition familiale, pour enclencher une scène digne des ''braves gens'' de la Traversée de Paris (film réalisé par Claude Autant-Lara en 1956). Les jérémiades tournent court, pour laisser place aux négociations, dès lors qu'il est question de vendre une quille.

Passant du « y en a plus ! » (« les Allemands ont tout pris... pourtant on leur en avait donné de nous-mêmes et beaucoup... ») au « y en a plus que du très bon » (« cinq francs la bouteille »), l'absurdité des conventions a sauté pour« une grosse pièce ». Une vision de l'humanité attendue pour Louis-Ferdinand Céline, aussi désabusé que controversé (docteur Bardamu, misère des Bagatelles). Il pourrait d'ailleurs s'être inspiré de son expérience de cuirassier en 1914. Dans son illustration de cette scène, Jacques Tardi opte pour un cadre blême. La vignette est centrée sur l'enfant, recroquevillé dans sa tenue de marin et entouré des gémissements de sa famille. Au premier plan Bardamu est livide, ayant tout l'air réveillé par une vision on ne peut plus amère...

 

Pour finir ce 66ème billet, le blog Vin'Art va être mis en sommeil pour cet hiver, voire le prochain. Comme pour Adèle, ce sera donc une cryogénisation au blanc-sec ! Comme le chantait Claude Nougaro : « tu dormiras longtemps ». Merci lecteur pour... ta lecture !

 

 

 

       

[Illustration : détail de la planche 5 de Putain de Guerre 1917-1918-1919, texte de Jean-Pierre Verney et dessin de Jacques Tardi (éditions Casterman)]

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25 septembre 2013 3 25 /09 /septembre /2013 08:30

Aujourd'hui, nous allons parcourir le Journal du romancier Jules Renard et nous arrêter sur ses pensées vigneronnes. Mêlant le carnet intime et l'exercice littéraire, avec ce que cela comporte de quotidien et de doutes, de perfidie et d'anecdotes, ce journal était aussi un compagnon de (ré)création. On y trouve notés des aphorismes tout viniques, qui n'auraient pas été dépareillés dans les Bucoliques, celles de Jules Renard comme les originales de Virgile. Le 20 juillet 1887, le pas-encore auteur de Poil de carotte notait ainsi « l'esprit est, à peu près, à l'intelligence vraie, ce qu'est le vinaigre au vin solide et de bon cru : breuvage des cerveaux stériles et des estomacs maladifs »

S'éloignant des salons littéraires et des traits purement spirituels, Jules Renard prône la franchise dans son plus simple appareil, un terre qui ne ment pas, comme il la dépeignait dans leVigneron dans sa vigne (1894). Plus qu'à cette série de nouvelles paysannes, penchons-nous sur le sort que réserve Jules Renard aux animaux. Si les cruautés sur oiseaux, chien et chat ne manquent dans son roman autobiographique Poil de Carotte, il semble avoir voulu se rattraper par la suite. Le 19 septembre 1895, le déjà auteur de l'Ecornifleur annonce que si « Buffon a décrit les animaux pour faire plaisir aux hommes. Moi je voudrais être agréable aux animaux mêmes ». Son objectif serait même les faire rire s'ils lisaient ses Histoires Naturelles, qui paraissent en 1896.


Histoires-Naturelles-Jules-Renard-Dessin-Escargot.png


Les fables de la fontaine à vin

Avec sa rousseur et son nom famille, Jules Renard aurait pu se voir en rusé goupil, mais il avait plutôt tendance à se comparer à un escargot à la mue impossible, qui n'arrive pas à percer sa coquille. Le gastéropode sert également incarner la paysannerie de son temps, qui comme un escargot, est lente à atteindre l'horizon... Dans ses Histoires Naturelles, il décrit avec un œil enfantin l'escargot : « Casanier dans la saison des rhumes, son cou de girafe rentré, l'escargot bout comme un nez plein. Il se promène dès les beaux jours, mais il ne sait marcher que sur la langue. »

A cet interlude faussement naïf suit un souvenir de dressage d'escargots de course, avec son camarade Abel, qui les dresse en les poussant avec « Barbare, qui est une lame de plomb », Abel est lui même dressé par sa mère, qui lui attache un sucre au cou pour le punir et ne l'autorise à le manger que lorsqu'il est pardonné. Loin de cette petite fable cruelle, il laisse au lecteur une image surréaliste avec sa pensée du 29 août 1906 :« l'escargot : vigneron avec sa hotte sur le dos, la tête traversée d'aiguilles à tricoter ». Imaginer le vendangeur harnaché et transpercé de la sorte conduit à des projections plus proche d'Enki Bilal que de la galerie du Muséum d'Histoire Naturelle. Tout aussi visuelle, sa définition visuelle de « la coccinelle : une petite tortue qui tout à coup s'envole » (12 juillet 1902).

Plus pratique, un autre arpenteur du règne animal rappelle que la « Coccinelle, c'est utile, ça fait fuir les pucerons // Et puis c'est la promesse que le vin sera bon » nous chante dans sa Coccinelle, Thomas Fersen, qui, accompagné du Ginger Accident, vient de livrer un nouvel album plus que recommandable.

 

 

 

Tous mes remerciements à Régis pour m'avoir offert ce Journal !

 

 

 

[Illustration : dessin à l'encre de Chine pour les Histoires Naturelles par Jules Renard, BnF]

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10 septembre 2013 2 10 /09 /septembre /2013 08:30

Aujourd'hui, nous aller assister à un concert de Bruce Springsteen. Mais nous n'aurons pas d'yeux que pour Bruce ''the boss'' Springsteen. C'est pour son premier apôtre, Clarence ''the big man'' Clemons, que nous retournons au milieu des années 1970. Saxophoniste ténor, il a donné son âme (forcément soul) au E Street Band, le groupe qui accompagne fidélement Bruce Springsteen depuis ses débuts à Asbury Park (New Jersey). D'après la légende, c'est par une nuit de tempête que Clarence Clemons aurait rencontré Bruce Springsteen. Le premier aurait fait une entrée dans le club où jouait le deuxième, lui annonçant son envie de joindre le groupe. Histoire de faire oublier qu'il venait de sortir les portes du Student Prince de leurs gonds*. Mais ce n'est (tant) pas pour écouter ce saxophone tempétueux que nous sommes parmi la foule texane de cette soirée du 10 mars 1974.

Cette nuit, Clarence Clemons prend le micro et donne de la voix, dans le Liberty Hall de Houston, avec Gimme that wine. D'après le site de référence BruceSpringsteen.it, cette interprétation aura été particulièrement rare (seulement trois ont été répertoriées lors de la tournée précédant l'album Born to Run), ce morceau n'apparaissant sur aucun enregistrement (sauf celui pirate, ci-dessous). Devant nous, Clarence Clemons interprète donc une chanson de John Hendricks, axée sur un motif on ne peut plus répétitif : le chanteur est brimé (par sa femme, un cambrioleur, un incendie, un accident de la route...), mais ne perd son calme que lorsque sa bouteille de vin est menacée. Dès lors il se lance dans une longue litanie qui donne son titre à la chanson (« gimme that wine » donc). Ce qui donne ici le temps à Bruce Springsteen de réaccorder sa guitare...

 

Bruce-Springsteen-Clarence-Clemons-Born-to-Run-Alb-copie-1.png

 

Gimme some E sweet wine

La meilleure façon de résumer les trois bonnes heures d'un concert de Springsteen est de les comparer à un office, une communion de l'audience avec un groupe et son leader. Un Bruce Springsteen de plus en plus charismatique et christique, au fur et à mesur d'un marathon rock à la sueur toute prolétarienne. Basant son show sur la spontanéité, le boss est au service de son public, qui reprend souvent en chœur les refrains et n'hésite pas réclamer des morceaux. Le récent documentaire Springsteen & I regorge de touchants témoignages qui font de ces moments d'échanges de vraies leçons de vie, plus que des sermons. Dans ce cadre musico-fanatique, il n'y a pas de ruptures (ou alors des entractes, désormais disparus). Les chansons s'enchaînent et les blancs ne sont que des jeux avec la patience de l'audience (comme pour Fire).

Mais au début de sa carrière, alors que Bruce Springsteen se cherchait encore une personnalité artistique (hésitant entre le un Bob Dylan et son Band qui se prendrait pour James Dean dans Greetings from Asbury Park et la fanfare foutoir, aux accents déjà spectoriens, de The Wild, The Innocent & The E Street Shuffle), il avait peu de roadies pour lui tendre sa Fender Telecaster/Esquire de rechange. S'il cassait une corde à sa guitare, il lui fallait lui réparer et le groupe devait meubler ! Ce serait la raison de cette interlude chanté par Clarence Clemons. S'il ne donne pas (et c'est dommage) dans le Adam raised a vine ou Hard to be a cinsault in the city, il reprend donc une chanson du trio vocal Hendricks, Lambert et Ross (publiée en 1961).

Clarence Clemons a ici un chant qui étonne. Avec le souffle soul qui fait sa musique, il donne pourtant dans l'interprétation scat. Avec cette approche jazz, les paroles paraissent plus parlées et éméchées que dans la version originale, sans pour autant parodier Screamin Jay Hawkins. Et si on lui présentait les sex symbols de l'époque ( Brigitte Bardot, Marylin Monroe, Sophia Loren...), c'est avec une fougue potache que Clarence Clemons les rejette pour sa bouteille. Car il ne peut bien se porter sans son muscat, qu'il ne boit d'ailleurs que pour des raisons médicales (cause I can't get well without Muskatel // I only drink for medicinal purposes anyway). Ces vers prophétiques annoncent à la fois le French Paradox, (même vu d'un mauvais œil par le 'National Surgeon') et la mode des vins de muscat, qui bat actuellement son plein sur le marché américain.

 

 

 

Devant le Big Man (de son vrai nom Clarence Anicholas Clemons, Jr.) et son interlude comique de 1974, on ne peut oublier l'été 2011, où après 40 ans de complicité, il quitta le E Street Band suite aux complications fatales d'une crise cardiaque. Dans sa vibrante élégie glissée dans l'album Wrecking Ball, Bruce Springsteen précise« qu'il ne quitte pas le groupe à sa mort. Il le quittera quand nous serons tous morts. » Clarence Clemons est le deuxième membre originel du E street band à disparaître (après Danny Federici en 2008). En plus de Bruce Springsteen, il aura collaboré avec légendes du rock (Roy Orbison, Carl Perkins...), mais aussi certaines icônes plus pop et discutables (Ringo Starr et même... Lady Gaga). Plus appropriée qu'une minute de silence, Bruce Springsteen et le E Street Band auront commémoré à chaque concert de la tournée Wreckling Ball (2012-2013) le souffle du Big Man. Que ce soit avec le titre We Are Alive ou en reprenant en Suède, à Gothenburg, le magistral Jungleland de Clarence Clemons, dont le solo était joué par Jake Clemons, le neveu du grand homme.

 


 

* : pour plus de romance, écouter Tenth Avenue Freeze Out. Il est à noter que Steve ''Miami'' van Zandt peut également prétendre au titre de premier apôtre du E Street Band, mais comme il a quitté à l'occasion des années 1980 le groupe...

 

[Illustration : photo non publiée, issue de la session pour la couverture de l'album Born to Run, prise par Eric Meola (1975)]

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21 août 2013 3 21 /08 /août /2013 08:30

Aujourd'hui, nous allons prendre les chemins d'une toile de Gustave Courbet. Ou plutôt de sa reproduction. Car le Retour de conférence fait partie de ces œuvres disparues, dont ne subsiste plus qu'un souvenir de scandale. Selon une notice du Musée d'Orsay, cette toile aurait « sans doute été acquise dans le but d'être détruite par un contemporain indigné ». Si les tableaux de Gustave Courbet avait une odeur, ce serait sans doute celle du soufre. En 1863, le Retour de conférence a ainsi réussi à être interdit de Salon de peinture par les académistes et du Salon des Refusés par les modernes d'alors. Gustave Courbet ne devait pas être peu fier de ce coup de maître dans l'atteinte aux bonnes mœurs. Le chantre du réalisme a cependant pu exposer son œuvre en Belgique, terre bien plus tolérante en terme de religion que la France du Second Empire.

En 1868, le Retour de conférence était présenté dans la ville de Gand (ou Ghent en flamand) et illustrait une brochure anticléricale* vendue à l'occasion. Anonyme, le long texte du fascicule s'appuie sur une série de tableaux de Gustave Courbet dépeignant une journée de conférence entre curés. La brochure rappelle que dans « beaucoup de pays il se fait une conférence par semaine » pour répondre à l'obligation qu'ont les prêtres de campagne de « se confesser une fois par mois au curé de canton ». Selon ce texte (au parti pris à peine caricatural), ces conférences tenaient plus de la noce pantagruélique que la Cène ascétique. La bacchanale est présidée par un Amphytrion qui expédie le benedicite, pour mieux se plaindre de la dépravation d'une France devenant laïque. Imaginez « des conseillers municipaux qui ont eu l'audace de s'opposer aux demandes de crédits formulés par leurs pasteurs ».

Anecdote qui « cause des frémissements d'indignation aux conférenciers, et ils sont obligés d'en chercher l'oubli dans le ventre des flacons. » Lors de leurs conférences, les curés transforment en effet l'eau en vin, tout le long du repas et jusqu'à l'apothéose de la soupe au fromage, qui « réveille l'appétit de ces disciples de Gargantua (…). Alors la bouteille entre de nouveau en lice, et les rasades se succèdent avec une promptitude qui donne la plus haute idée de la capacité des estomacs ecclésiastiques. Quelquefois l'ivresse du moment se greffe sur l'ébriété de la conférence ». On imagine bien qu'avec une telle descente de vin de messe le retour de conférence soit peu glorieux...

 

Gustave-Courbet-gravure-Retour-de-Conference--tableau-orig.png

 

L'autre via dolorosa

Après le Languedoc et la Normandie, Gustave Courbet pose son chevalet dans la campagne charentaise de la fin 1862 au début 1863. Le Retour de conférence est ainsi peint à Port-Berteau, une bourgade à proximité de la ville de Saintes. Ce n'est pourtant pas la réputation sulfureuse du tableau qui a marqué les esprits, mais la légende d’un âne, qui aurait été monté dans l'atelier/grange du peintre pour lui servir de modèle. Opération acrobatique qui semble avoir porté ses fruits, tant l'âne dépeint semble braire de naturel. Car sur leur chemin de retour, les conférenciers ont bien du mal à tenir debout. Un des curés est donc soutenu par l'âne qu'il chevauche à califourchon, ainsi que par trois comparses afin de lui éviter de rouler sur le bas côté.

Cette véritable parade de curés saouls laisse naturellement de marbre la statue de Marie à l'enfant encastrée dans le chêne bordant cette station de via vinis. Le chemin de bois sans soif amuse particulièrement les paysans également de sortie. Avec leurs faciès proches des tableaux de Brueghel l'Ancien, Gustave Courbet se placerait presque dans la simple caricature. Mais dans la lignée de l'Enterrement à Ornans ou de la Baigneuse, Gustave Courbet désacralise de nouveau la représentation d'un sujet académique. Reprenant des codes classiques, un Retour de conférence parodie la tradition des scènes pastorales. La parade de gais lurons ne revenant pas d'une innocente bacchanale, mais d'une réunion d'ecclésiastiques, Gustave Courbet joue avec une insolence bon enfant l'air durement anticlérical d'un Jules Vallès.

La conclusion de la brochure est particulièrement se place dans cette optique. L'auteur anonyme déclare ne pas savoir « à quel point ces momeries prétendues religieuses peuvent être utiles à la morale » et juge que « le moment semble venu de donner un vigoureux coup d'épaule pour renverser cet échafaudage officiel de jongleries ridicules ». Ce manifeste appelle clairement à la scission de l'Etat et de l'Eglise, tout en maintenant la liberté de culte mais en instaurant la rétributions des officiers de dieu par les croyants seuls. Une verve socialo-révolutionnaire qui n'est pas sans annoncer la Commune de Paris à laquelle Gustave Courbet participera, en qualité de ministère de la culture.

Pour accompagner cette promenade en toile disparue, on peut évidemment écouter du Georges Brassens (la Messe au pendu), mais aussi les Who (ci dessous a Man in a purple dress de Pete Townshend).

 

 

   

* : le texte bouffant seulement quelques curés de campagnes et pas tous, car « beaucoup de prêtres sont assurément dignes de respect pour l'héroïsme avec lequel ils résistent aux pièges tendus sous leurs pas par l'oisiveté et les excitations sensuelle de leur profession. (…) Cet opuscule n'est point à l'adresse de ses philosophes, fourvoyés dans une carrière sans issue comme un cerf dans une impasse. » Si l'on ne connaît pas l'auteur de ces lignes, on notera que l'Hallali au cerf de Gustave Courbet date de 1867, la métaphore de la scène de chasse a été rédigée un an plus tard.

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26 juillet 2013 5 26 /07 /juillet /2013 08:30

L'affiche d'un Singe en hiver est une promesse à elle seule. Préfigurant celle des Quatres garçons dans le vent (1964), elle réunit d'une écharpe Jean Gabin et Jean-Paul Belmondo. L'étoile montante de la Nouvelle Vague partage joue d'égal à égal avec un mythe du cinéma français en cette année 1962. Typiquement le rôle qui ne se refuse pas, c'est face à Jean Gabin que Lino Ventura a été révélé. Ancien boxeur que Jean-Paul Belmondo avait d'ailleurs croisé sur le tournage de Classe tout risque (Claude Sautet, 1960), mais son nom n'avait pas alors dépassé la ligne des seconds rôles. Quelques mois après ce tournage, il devenait jeune premier, grâce au succès d'A bout de souffle (Jean Godard, 1960).

C'est sur une idée d'Henri Verneuil* que Jean-Paul Belmondo rejoint le tournage d'un Singe en hiver. Cette adaptation du roman éponyme d'Antoine Blondin (paru deux ans plus tôt) fait partie d'une commande de la Metro-Goldwyn-Mayer, le studio américain réunissant pour trois films Michel Audiard, Henri Verneuil et Jean Gabin (respectivement au scénario, à la réalisation et au premier rôle). Malgré ces auspices commerciaux, le film balance perpétuellement entre le confort du cinéma à papa et une Nouvelle Vague désinvolte, entre le bagoût patibulaire de Jean Gabin et la légéreté canaille de Jean-Paul Belmondo. Un ressac identitaire que le film partage avec son protagoniste, tiraillé par un dilemme : se terrer au fond d'un trou normand ou le remplir comme au temps des cerises à l'eau-de-vie ?


Un-singe-en-hiver-d-Henri-Verneuil--Feux-d-artifice-de-Land.png

 

… récolte le poète

Un Singe en hiver est l'histoire d'une embellie, retraçant la rencontre de l'hôtelier d'une station balnéaire normande (le village fictif Tigreville), qui a fait vœu de sobriété (Albert Quentin, joué par Jean Gabin), et d'un toréador/publiciste parisien, qui retarde ses retrouvailles avec sa fille en pension par une feria perpétuelle (Gabriel Fouquet interprété par Jean-Paul Belmondo). Face à cet alter ego, l'aubergiste est tenté par une illusion : retrouver les cuites d'autrefois. Celles qui lui donnaient à naviguer sur le fleuve jaune, en canonnière et casque de la coloniale. Ici la beuverie est la source intarissable de voyages, qui forment la jeunesse comme les rêves de vieillesse. Cette vision accommodante de l'ébriété est fidèle au roman d'Antoine Blondin (alcoolique germanopratin notoire), qui avait une opinion élitiste de la saoulerie. « Des ivrognes vous ne connaissez que les malades, ceux qui vomissent, et les brutes, ceux qui cherchent l'agression à tout prix ; il y a aussi les princes incognito qu'on devine sans parvenir à les identifier » fait-il dire a l'hôtelier dans son roman.

La réplique la plus connue du film est évidemment signée Michel Audiard. L'aubergiste l'assène à Eisnard, le tenancier du bar voisin qui le tance pour le comportement débraillé du matador : « c’est bien ce que je vous reproche, vous avez le vin petit et la cuite mesquine » [voir extrait ci-dessous]La tirade du « tu m'emmerdes »  souligne également qu'un état de sobriété différé n'est pas une fin en soit, mais seulement un moyen de transport.. A sa femme qui s'inquiète de le voir tenté de nouveau par la boisson (violant la promesse faite 15 ans plus tôt) et lui propose « si ça te manquait vraiment, je sais pas moi, tu pourrais reprendre un petit peu de vin au repas.Un demi verre », l'hôtelierlui répond avec morgue : « un demi verre... Dis-toi bien que si quelque chose devait me manquer, ce serait plus le vin, ce serait l'ivresse. »

Sous la poésie et la geste de la picole dantesque point un fatalisme doux-amer. Celui qui a bu, boira. Tel semble être la morale de cette fable des grands ducs de l'ivresse. Car le temps d'un soir, les brigades de Tigreville sont formées par deux générations de soifards, écumant les comptoirs et topant les pinards. Déambulation éthylique qui aboutit à une apothéose : l'envie de faire un feu d'artifice sur la plage Le fournisseur de ce projet est le grossiste Landru (« à cause de la barbe et de la mort de ses deux femmes »), qui offre son coup de rouge avant de peindre le ciel de la même couleur. Ce qui conduit à un commentaire de dégustation pas très éloigné de la Fontaine, « si vos pétards sont à la hauteur de votre Beaujolais, on va nous entendre du Havre ».

Tenant autant du Bengale que de la Plaza del Sol et du fleuve jaune, les feux fonctionnent évidemment bien, permettant au vaisseau alcoolisé d'arriver à bon port. Mais la destination importe autant que le pilote et que son équipage : la cuite ne se fait pas en comité privé, mais en collége d'érudits. C'est l'enseignement de l'anecdote chinoise qui donne son titre à l'œuvre : "ainsi, en Chine, l'hiver, des singes égarés se réfugient dans les villes. Quand ils sont assez nombreux, on chauffe un train pour eux et on les renvoie vers leurs forêts natales."

 

 

* : et avec l'aval de Jean Gabin, selon les souvenirs d'Henri Verneuil, cités dans Belmondo, la biographie de Bébel par l'historien Philippe Durant (Robert Laffont, 1993). Livre qui rappelle que le scénario d'un Singe en hiver ne plaisait initialement pas aux commanditaires américains, qui n'avaient « pas très bien compris l'histoire et [avaient] pris ça pour une histoire d'ivrognes ». Mais face aux impératifs de tournage (et le risque de payer un dédit à Jean Gabin), c'est bien un Singe en hiver et non une aventure de pêche de morues parmi les icebergs qui se monta.

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9 juillet 2013 2 09 /07 /juillet /2013 08:30

Aujourd'hui, nous allons mettre le nez dans la Tétralogie du Monstre, une série scénarisée et dessinée par Enki Bilal. Si son fructueux tandem avec le scénariste Pierre Christin en a fait une icône populaire (de la Croisière des oubliés en 1975 à Cœurs sanglants en 1988), son œuvre solitaire (comme la Tétralogie du Monstre) en a fait un auteur aussi incontournable qu'inclassable. Ainsi que l'un des artistes modernes les plus côtés. C'est du moins ce que l'on lit en introduction de son exposition MécanhumanimalL'absence d'onomatopées aidant, il est vrai que chacune de ses cases s'apparente désormais à une toile, recomposée avec sa superposition de photos spiralées, de reliefs acryliques, de flous pastels... tout en conservant la singularité d'un crayonné instinctif. 

Que ce soit dans la Trilogie Nikopol, la Tétralogie du Monstre ou le Coup de Sang (série en cours), le récit bilalien se passe dans un futur de fiction ou de science proche. En SF, il est facile d'avoir des prédictions à côté de la plaque. En témoignent les films futuristes des années 1980 où les écrans d'ordinateurs sont d'un vert pixelisé, les antennes paradent sur les téléphones, etc. Dans ce domaine périlleux, Enki Bilal a la réputation d'avoir le nez fin. L'avenir dira si les « fruits bio transgéniques » de l'album Quatre ? existeront en 2027 ! Mais l'on sait déjà que le premier album de la tétralogie était riche en aperçus futuristes.

Le Sommeil du Monstre faisait ainsi découvrir à ses lecteurs de 1998 un concept culinaire avant-gardiste : les sashimis* ! Enki Bilal faisait également déguster à son héros, Nike Hatzfed, une bouteille du Château Haut-Marbuzet, millésimé 1999. Une prédiction bien vue pour ce cru bourgeois de Saint-Estèphe (88/100 sur l'échelle de Robert Parker Jr), qui sera bien un compagnon de choix pour une nuit solitaire en 2026. En fait, i l'on en croit les commentaires de dégustations, les millésimes 1998 et 2000 auraient également pu convenir... mais quand même !

 

Bilal-Quatre.jpg

 

J'aime l'odeur de Paname au petit matin

 

Il peut sembler aisé de résumer les albums d'Enki Bilal à quelques poncifs : Baudelaire dans la Trilogie Nikopol, les mouches et autres placodermes dans la Tétralogie du Monstre, le bleu grisant et le gris bluffant de la Femme Piège au Siècle d'Amour... Mais l'ensemble ne se laisse pas réduire à l'alignement de motifs obsessionnels. En témoignent les perpétuels renouvellements narratifs (de l'Appel des étoiles aux Fantômes du Louvre) et graphiques (des Légendes d'aujourd'hui à Julia & Roem). Comme un terroir viticole de haut vol, Enki Bilal produit des albums caractéristiques de son cru, mais insolemment atypiques d'un millésime à l'autre.

Le sort réservé au nez marque la cuvée de la Tétralogie du Monstre (1998-2007). Expert de la mémoire (mémo'art?), le héros Nike Hatzlfed voit son appendice nasal cassé dès le commencement du Sommeil du Monstre. Rabiboché, ce nez est transformé en un pif gadget des plus fragiles, re-cassé au premier coup de tête. Brisé de nouveau en introduction du 32 décembre, ce nez devient un lien synesthésique entre le Nike Hatzlfed original et ses sosies. Restant entier pour le Rendez-vous à Paris, le siège de l'odorat est paramétré pour devenir un outil de traque (pour en savoir plus, [re]lire la série!). Dans le dernier tome, le super renifleur finit détraqué. Nike Hatzlfed pâtit de cette agueusie lors de son déjeuner au restaurant Jean Rachid Nataka, qui fait face à l'hôtel Crillon Saint Eustache en 2027 (détail de la page 11 ci-dessus).

Cette aventure nasale se clôt sur des conclusions de dégustation particulièrement salées : le bordeaux est tout simplement de la flotte. Jugement qui émeut peu le serveur, tant que la bouteille n'est pas bouchonnée direz-vous... Paris, comme l'entrecôte de Salers et la quille bordelaise, sont sans saveur, ni goût. Ce déjeuner insipide a pourtant un responsable, cette artnosmie étant signée Warhole. Tout comme toutes les fractures et bidouillages subis par le blair de Nike Hatzlfed, un peu facilement mené par le bout du nez... Mais se réfugiant toujours dans sa mémoire, ici dans la visite du président François Mitterrand en 28 juin 1992 à Sarajevo (« lieu » de naissance du protagoniste et de son créateur). La Tétralogie du Monstre reste ainsi sous le signe Georges Pérec, auquel Enki Bilal empreinte son Je me souviens (à moins que ce ne soit le I remember de Joe Brainard?)

Lors du déjeuner à Quatre ?, le trio de Sarajevo est reformé sous l'égide de ce grand ordonnateur qu'est Optus Warhole. Ce dernier dicte également le menu et les accords mets-vins de ce rendez-vous parisien. On notera qu'Enki Bilal y place malicieusement le vins de ses copains. Le déjeuner volant au restaurant du Crillon est ainsi accompagné d'un "Château Rouge Garance, Trintignant Cortellini 2016" et d'un "Château Benjamin de Rothschild 2010". Le premier flacon provient d'un domaine du Gard qui appartient au couple Claudie et Bertrand Cortellini et à l'acteur Jean-Louis Trintignant. L'emblème de ces flacons rhodaniens n'est autre qu'un aigle dessiné par un certain... Enki Bilal. Président de la Compagnie Vinicole Baron Edmond de Rothschild, Benjamin de Rothschild est quant à lui un proche ami d'Enki Bilal.


Valant détour et visite, l'installation Mécanhunimal est à voir au Musée des Arts et Métiers (Paris 3ème) jusqu'au début 2014. Ce titre énigmatique semble sculpté dans le verbe pour Alcide Nikopol, héros réunissant en un corps une jambe métallique et le dieu faucon Horus. Dans la lignée de Jules Vernes et H.P. Lovecraft, cette exposition place les créations anxio-théâtrales d'Enki Bilal au carrefour des aspirations et déceptions du vingtième siècle. Dont Enki Bilal est sans conteste un enfant, prodige !

 

 

 

 

* : prévision une dizaine d'années avant que les sushis passent dans l'alimentation mondialisée. Ce nez dans les prédictions se teinte également de géopolitique. Dans l'album 32 décembre (2003), c'est un incident nucléraire japonais qui résonne avec l'actualité récente, tout comme l'attentat de l'Obscurantis Order sur la Tour Eiffel (Le Sommeil du Monstre) semble maintenant annoncer les attentats du 11 septembre 2011.

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24 juin 2013 1 24 /06 /juin /2013 08:30

Aujourd'hui, nous allons écouter un blues de Muddy Waters : Champagne and Reefer, titre que l'on traduira par « du champagne et un joint ». Aussi électrique qu'indolent, ce morceau clot le concert que McKinley ''Muddy Waters'' Morganfield donnait avec les Rolling Stones le 21 novembre 1981 au Checkerboard Lounge (Chicago). Célèbre pour son interprétation de Hoochie Coochie Man, Muddy Waters forme avec Bo Diddley et Howlin Wolf la sainte trinité du blues de Chicago. Matérialisant le chaînon manquant entre le blues du Delta et le brit rock, Muddy Waters a été invité à Londres en 1972, tout comme Howlin' Wolf l'avait été en 1971 par la scène rock britannique*.

De Jimi Hendrix à Angus Young, nombre de guitaristes ont été influencé par Muddy Waters, l'une des étincelles de l'explosion du British Blues. Les Rolling Stones ne sont pas les derniers à se réclamer de son héritage, le nom même de leur groupe venant d'un blues de Muddy Waters (Rollin' Stone, réinterprétation du traditionnel Catfish Blues). Lors du concert de 1981, les Rolling Stones reprennent à la lettre les codes électriques du Chicago Blues, tels de bons petits écoliers ayant fait leurs classes. Si sur ce morceau les sales gosses du rock portent bien, le bluesman bien sapé arrête de carburer au bourbon pour se faire le chantre du champagne en coupette et de l'herbe qui rend bête (pour voir un extrait de ce concert, cliquer ici).

 

Champagne-And-Reefer-Muddy-Waters-Rolling-Stone.png

 

Pierre qui roule (des joints) n'amasse pas mousse(ux)

 

Oscillant entre l'effervescence et l'éthéré, Champagne & Reefer s'afirme dès lors qu'il s'agit de son accroche : « Yeah bring me champagne when I'm thirsty / Bring me reefer when I want to get high ». Ce que l'on peut traduire par : donne moi du champagne quand je suis assoifé / donne moi un joint quand je veux être perché. En argot américain, un reefer est un effet une cigarette de marijuana, et non un container réfrigéré comme le croirait tout logisticien qui se respecte. A noter, pour les amateurs de parenthèse lexicographique, qu'aux Etats-Unis le champagne n'était pas forcément de Champagne à l'époque, mais on fera comme si.

Si fumer une cigarette est interdit avant toute dégustation de vin qui se respecte (ainsi que l'usage de déodorants et autres dentifrices : pour avoir un nez, mieux vaut ne pas se sentir), il existe de nombreux liens de dégustation entre cigares et digestifs : cognac, armagnac... Mais dans la liste des accords alcoolisés sur fumée (accords ô combien dommageables pour la santé : fumer et boire, c'est mal), l'assemblage champagne-haschich reste particuliérement culotté. Et toujours peu pratiqué, grâce à la vigilante rectitude de la législation en vigueur dans le pays où Baudelaire comparait dès 1851 vin et haschich, comme moyens de multiplication de l’individualité.

En Californie par contre, les expérimentateurs en herbe n'hésitent pas à aller plus loin, produisant des vin aromatisés au cannabis depuis les années 1980. Dans l'Antiquité méditerranéenne, les vins macéraient déjà dans des mixtures d'herbes aromatiques et d'eau de mer (voire d'huile en cas de transport), mais les pot wines restent particulièrement atypiques dans l'oenologie moderne. Certains vignerons n'hésitent pas y voir un vin du terroir américain, on ne peut en effet être plus éloignés des chemins habituellement battus dans le Nouveau Monde Viticole. 

Pour en revenir au manifeste pour drogues douces qu'est Champagne & Reefer, les vers : « Well you know there should be no law / On people that want to smoke a little dope » (soit : il ne devrait pas y a voir la moindre loi / contre ceux qui veulent fumer un peu de hasch) ont un écho tout particulier pour les Rolling Stones. En juin 1967, Mick Jagger et Keith Richards étaient en effet arrêtés dans le Sussex, le premier pour possession de tablettes d'amphétamines, le second pour avoir laissé sa maison accueillir des fumeurs de cannabis. Condamnés respectivement à 3 et 12 mois d'incarcération en première instance, les deux compères furent libérés suite à une forte vague de protestations (ayant notamment abouti sur des reprises des Rolling Stones par leurs substituts attitrés : The Who). La médiatisation de leur remise en liberté acheva d'en faire les chantres de l'anti-conformisme

Pour finir, il est conseillé d'écouter la version live de Champagne & Reefer que Muddy Waters propose sur son album Muddy "Mississippi" Waters Live(1979). Il y est efficacement épaulé par Johnny Winter, qui remit la légende du Delta en selle et en scène à la fin des années 1970. Plus glamour et proche de nous, Champagne & Reefer était également interprétée par les Rolling Stones et Buddy Guy à l'occasion du film Shine a light (concerts de 2006 mis en pellicule par Martin Scorcese). Il est à noter que Buddy Guy accompagna notamment Muddy Waters et possédait le Checkerboard Lounge au début des années 1980... La boucle est bouclée !

 

 

* : à l'initiative de la visite londonienne de Howlin Wolf, on trouve Mick Jagger, Charlie Watts et Bill Wyman des Rolling Stones, ainsi que Steve Winwood et Eric Clapton (que l'on peut retrouver sur ce blog en cliquant ici). L'écoute de l'album Howlin Wolf London Sessions, qui témoigne de ce séjour, est on ne peut plus recommandée.

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5 juin 2013 3 05 /06 /juin /2013 08:30

Aujourd'hui, nous allons contempler le Bacchus enfant peint par Guido Reni. Le jeune dieu n'y use pas ses couches culottes « à dada sur son bidet », mais titube déjà, levant un coude bien aviné. Le poulbot poivrot est en effet plein comme une outre, qui en déborde même... A grosse soif, petits besoins ? C'est avec un air de défi, matiné d'ivresse, qu'il lève les yeux au ciel en s'oubliant pour mieux mener à bien son cul-sec. On le voit, cette petite toile (50 par 60 cm) est des plus irrevérencieuses avec un dieu païen des plus majeurs.

Bacchus fait partie des dieux tutélaires antiques les plus connus, cher aux hommes toujours prompts à vénérer celui qui les rend insensés. Protecteur de la vigne et du vin, Bacchus (ou Dionysos pour les Grecs, Osiris pour les Egyptiens...) n'était pas connu que pour ses bacchanales et séduisantes bacchantes. Son mythe était fait de voyages et de victoires dans les pays orientaux, notamment dans les Indes qu'il aurait conquises... Adieu beau, panache et amphytrion avec Guido Reni ! La jeunesse mythique chantée par Ovide dans ses Métamorphoses* n'est qu'un vague souvenir.

Il semble que Bacchus soit loin de croire être né de la cuisse de Jupiter, mais plutôt de la dernière tournée. La représentation de Bacchus joue naturellement sur les deux aspects que la divinité partage avec le vin : pile l'ivresse, face l'ivrognerie. Pile, le Jeune Bacchus peint par le Caravage, un adolescent à la divinité diffuse et à la sobriété désenchantée. Face, la version de Guido Reni propose un bambin aux bourréles débordant d'abus. On pourrait continuer : pile, le Triomphe de Bacchus par Velasquez donne une auguste solennité à un repas champêtre, face Cornelius De Vos fait de ce thème un gras et indolent lendemain de beuverie rurale....

 

Guido-Reni-Bacchus-enfant--buvant-et-pissant-du-vin-.jpg

      Bois pas ci, bois pas ça

 

Aussi effrontée que puérile, cette peinture se moque joyeusement des conventions et de la bienséance. La grossiéreté n'est finalement qu'un laisser-aller, qui passerait pour impertinente s'il ne s'agissait de thèmes païens. On comprend qu'entre deux épisodes de la vie de Jésus ou de ses apôtres pour le Vatican, un peintre baroque de Bologne se détende en revisitant les mythes. Le travail pictural de Guido Reni est ici on ne peut plus classique, avec une coloration qui n'est pas sans rappeler les compositions naïves des fresques antiques.

Affalé sur son tonneau percé, ce Bacchus jouit d'un jet d'urine particulièrement puissant, pour ne pas dire rabelaisien. Lui fait écho le jet de vin qui s'écoule du tonneau et souligne sa force. Dans les deux cas il semble qu'il n'y ait ni début ni fin à ce jet, dans les deux cas les contenants sont digne d'occuper les Danaïdes. Ou de devenir des fontaines. Le Jeune Bacchus de Guido Reni ne peut que faire penser à la fameuse fontaine bruxelloise : le Manneken-Pis de Jérôme Duquesnoy l'ancien. Au-delà de la proximité évidente de sujet, les deux œuvres partagent des dimensions identiques, représentant à l'échelle un môme d'autant plus frêle que sa vessie devrait imploser.

Guido Reni s'est-il inspiré du « gamin qui pisse » ? De la statue en bronze belge à la peinture d'un Bacchus ivre, on en restera là... On ne se demandera pas ce que boit le petit Julien, on laisse à Uderzo et Goscinny troubler cette intimité dans l'album Astérix et Obélix chez les belges.Par contre on peut se questionner sur la nature de l'urine de Bacchus... Pour sa part, le Manneken-Pis ne distribue pas que de l'eau. L'incontournable encyclopédie Wikipediarapporte qu'en 1890 du vin et de la bière sortirent du Manneken-Pis. « Et il pisse comme je pleure » pourrait-on faire chanter à Jacques Brel, pour conclure cette interlude dans le Plat Pays

 

 

* : La double naissance de Bacchus serait une fable rappelant les besoins de la vigne selon le prêtre Louis Moréri dans son Grand dictionnaire historique de la fin du dix-septième siècle. Le bon terreau (voir terroir) pour prendre racine est incarné par sa mère Sémélé, le climat chaud, mais tempéré, pour fructifier est représentée par la cuisse de Jupiter, tandis que l'éducation donnée par les nymphes serait l'élevage en caves, permettant d'obtenir le vin.

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23 mai 2013 4 23 /05 /mai /2013 08:30

Aujourd'hui, nous allons recueillir devant Tout le Monde il est beau, tout le monde il est gentil, le premier film de Jean Yanne. Disparu il y a exactement dix ans, le comique de l'insolence torve a laissé à la postérité bien des petites phrases. De celles qui mériteraient de figurer dans les pages roses des derniers dictionnaires : « le problème des compliments, c'est qu'on n'est jamais sûr que c'est sincère. Alors qu'en général, une insulte, ça vient vraiment du cœur ». Peut-être que son fameux « il est interdit d'interdire » s'y trouve déjà... Les titres de ses films sont du même bois. Liberté, Egalité, Choucroute donne le ton ! Les chinois à Paris mériteraient aussi que l'on s'y arrête, mais nous allons préférer Tout le Monde il est beau...

Le scénario de Jean Yanne et Gérard Sire transpose la figure messianique dans les années 1970 françaises. Avec un peu plus de déférence que le morceau Jesus just left Chicago de ZZ Top, il faut bien le reconnaître. Le fils de l'homme moderne est ici Christian Gerber (joué par Jean Yanne), un journaliste de Radio Plus, une station qui règle ses ondes sur la dernière mode. En ces temps pompidoliens, le Christ n'est plus roi mais Superstar. Radio Plus fait avec son temps et se met à la sauce corpus médiamétrie. Christian Gerber découvre cette nouvelle ligne éditoriale au retour d'un reportage sud-américain, dont la chronique pro-révolutionnaire lui vaut d'être mis au placard. Plus Jésus que Christ...ian, il joue les poils à gratter en s'invitant dans le débats théologiques, comme d'autres enseignaient au Temple. Tournant en dérision les spots publicitaires, il précipite son renvoi et marque son départ par un coup d'éclat. Radiodiffusé, son message adieu prend des allures de coup de balai pour les marchands de la maison de la radio : « vendre de la merde, oui, mais sans dire un gros mot. Tout le monde est gentil, tout le monde il est beau ».

Après sa mise au chômage (on a la traversée du désert que l'on mérite), il est rappelé par le Directeur pour diriger Radio Plus. Cette carte blanche lui permet de prêcher, autant à ses équipes qu'à ses auditeurs. Vient le temps fatal des trahisons, dès lors que le succès et la ferveur de ses disciples dépassent Gerber. Il devient un produit d'appel : « l'homme à la voix qui guérit ». A force de travellings sur des acteurs prenant la pose, la cène du dévoilement de la nouvelle grille de programmation est le summum de cette relecture impertinente. A ce dernier déjeuner, la baguette est rompue, le Graal n'est guère plus qu'un gobelet en plastique !

Tout-le-monde-il-est-beau-il-est-gentil-Cene-Jean-Yanne.png

 

Les voies de l'annonceur sont impénétrables

 

Au-delà des nombreuses références au bestseller qu'est la bible, Tout le Monde il est beau... est plus une critique de la radio (et des médias) que des religions (et des prophètes). La mode pop-rochristique est passée, le « béni oui-oui » des ondes reste d'actualité. Le Christ...ian Gerber érige la vérité comme saint-esprit d'entreprise et banit la langue de bois de tous les programmes. A commencer par les pages de publicités, plus ou moins avoués. Car sous les avés (Maria), la publireportage !

En témoignent les parodies de réclames qui émaillent le film et n'ont rien à envier aux pubs Madone inventées par Frédéric Beigbeder pour égayer son 99 francs. Au début de Tout le Monde il est beau..., une speakerine annonce imperturbablement qu'aux « noces de Cana, Jésus demanda que fût servi en premier les bons vins, puis les mauvais. Si les noces de Cana se déroulaient de nos jours, il n'y aurait que de bons vins. Les vins de la treille ardente. Naturels, fruités, parfumés... Les vins de la treille ardente, prenez et buvez en tous car ceci est du vin ! » Cette enthousiaste incitation à la consommation paraît aujourd'hui bien improbable. En fait elle serait complétement illégale.

Ce sketch date le film de l'avant Evin, quand la communication sur les vins ne devaient pas se limiter pas à une énumération objective d'indications (d'origine, de degré alcool, de modération...). Depuis la loi du 10 janvier 1991 du ministre de la Santé Claude Evin, les modalités publicitaires des boissons alcoolisées sont en effet encadrées : des supports autorisés* aux contenus. Dans la filière du vin, les opposants à la loi Evin sont nombreux (et de nouveau virulents après la publication du manifeste Invignez-vous ! du journaliste Jacques Dupont) et reprochent à la réglementation de ne pas prendreen compte les spécificités culturelles et comportementales liées aux vins. A l'époque des débats parlementaires, Claude Evin répondait que : « la publicité pour le vin ne représente que 10 % de l’ensemble des publicités pour les boissons alcooliques. La publicité bénéficie non pas aux vins de qualité français mais aux alcools durs étrangers ». Il ajoutait que les textes européens n'autoriseraient pas de distinguer vins de qualité et autres boissons alcoolisées.

Le journaliste interprété par Jean Yanne ne réalise quant à lui pas de miracles viniques de la portée des noces de Cana. Mais il propose de rénover la communion, avec l'invention révolutionnaire d'une« hostie spumante ». L'adjonction de bicarbonate de soude à une hostie classique la rendrait effervescente, la communion liquide devenant plus attractive les lendemains de soirées arrosées et les bancs de l'église se regarnissant. Intéressante idée qui reste à l'état de projet.

 

 

A défaut de messes basses à la mémoire de Jean Yanne, l'écoute de la bande originale de Tout le monde il est beau... est conseillée. Véritable comédie musicale qui cache son nom, elle a été ciselée musicalement par Michel Magne et mise en paroles par Jean Yanne. Sans oublier l'inspiration divine, car comme l'annonce le générique « il n'existe rien sur terre qui ne soit produit par dieu ».

  


* : internet en fait partie depuis la loi de la ministre de la santé Roseline Bachelot, adoptée, le 21 juillet 2009. Il est à noter que les horaires de diffusion à la radio de pubs pour des produits alcoolisés sont fixées par décret. La télévision ne peut diffuser la moindre incitation à la consommation.    
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7 mai 2013 2 07 /05 /mai /2013 08:30

Aujourd'hui, nous allons célébrer les 75 ans d'activité du plus célèbre des grooms : Spirou ! Choisie parmi la soixantaine d'albums de la série Spirou et Fantasio, notre bougie sera un épisode de la Mauvaise tête d'André Franquin. Sacré artiste de la bande dessinée par Hergé, Franquin aura signé, bon an mal an, la série Spirou durant deux décennies. Contrairement au reporter Tintin créé par Hergé, Franquin n'aura fait qu'accompagner un personnage aux aventures de commande. Passé sous les gommes et pinceaux successifs de maîtres de la bande dessinée franco-belge, le calot de Spirou a échappé à la muséification durant trois quarts de siècle. Il est resté aussi fringant qu'au premier jour, mais il est aussi resté la propriété de son éditeur.

Ce pacte faustien était inscrit à l'acte même de naissance du héros de papier. Spirou a été créé par le dessinateur Rob-Vel, autant dans les annales de l'histoire de la BD que dans la série elle-même. Paru en avril 1936, le premier épisode des aventures de Spirou représente sa naissance : un portrait peint par Rob-Vel, aspergé d'eau de vie et coupé sur mesure pour répondre à la demande du Moustic Hôtel (et l'animation du journal de Jean Dupuis). Loin d'être mis en bière, le jeune wallon roux n'y baignait donc pas à sa naissance. Par contre le monde dans lequel il évoluait était bien alcoolisé, ce qui était un ressort comique classique. A la fin de l'année 1940, Spirou se retrouvait (sous la plume de Davine*) dans le bar de la ville américaine de Pépiteville. Ayant tout juste quitté un village des inuits, Spirou est à la recherche de renseignements pour mettre un terme à son périple. Une bagarre de cowboys faisant rage, Spirou en est une victime collatérale, assommé net par un jet de bouteille. Petit gag qui fait écho à l'épisode de la Mauvaise tête à lequel nous allons maintenant nous intéresser. 

 

Spirou-Fantasio-Mauvaise-Tete-Franquin-1956.jpg

 

L'assommeur assommé

 

Succédant à Jijé, Franquin est aux commandes de Spirou et Fantasio de 1948 à 1969, période de créativité foisonnante qui insuffle son esprit à la série. André Franquin est en effet l'auteur des albums de référence de la série (le Repère de la murène en 1957, le Prisonnier du Bouddha en 1961...), de seconds rôles incontournables (le comte Pâcome de Champignac, Zorglub, Zantafio et autre Marsupilami), des plus belles inventions (le fantacoptère, la turbotraction...), sans oublier les couvertures les plus emblématiques ! L'album de la Mauvaise Tête (1956) en est l'exemple parfait. Le titre percutant, la face géante de Fantasio et l'air hagard de Spirou lui donnent une tournure particulièrement hitchockiennne (partiellement désamorcée par le sourire béat de Fantasio et les couleurs criardes).

L'atmosphère de cet épisode tient plus des enquêtes de Gil Jourdan (Maurice Tillieux) que des aventures de Spirou. Au passage qui nous intéresse, ce dernier est en train de s'aventurer chez le voisin de Fantasio, car le meilleur ami du groom est poursuivi par la police pour une affaire de vol de masque égyptien. Armé d'une bouteille de vin trouvé dans la masure, il est finalement assommé par cette même bouteille. Comme dans le choc pris en 1940, Spirou en est quitte pour un évanouissement prolongé. Une fois de plus, la bouteille tient bon et reste intacte. Elle ne sera pas débouchée pour fêter le réveil, Spirou lançant tel un boyscout : « aucune bouteille ne te fera plus cet effet... »

Loin d'être un chantre moralisateur, Franquin était tout simplement à l'aise avec les incursions de boissons alcoolisées dans ses bandes dessinées enfantines. Dans ce même épisode, le cousin Zantafio trinque à la santé d'un Fantasio emprisonné (à tort, bien sûr). Mais comme Zantafio est un méchant, il boit non seulement seul, mais en plus dans un verre à moutarde. Ce qui est bien le signe de son ignominie. Dans l'épisode des Hommes-bulles (1964), l'écureuil Spip a une phrase qui ne serait plus du tout de bon goût dans un album de jeunesse. Face à Spirou revenant bougon d'une plongée, il pense « l'eau ne lui fait pas l'humeur joyeuse, non ! Il devrait essayer le vin ! » C'était le temps où la loi Evin n'existait pas et durant laquelle les cowboys solitaires n'avaient pas à mâchonner une brindille.

 

 

Pour tous ceux souhaitant célébrer ce trois-quart de siècle, dans l'Atelier de Fournier vient de paraître (évidemment aux éditions Dupuis). Dans ce chouette album, Joub et Nicoby nous donnent l'occasion d'en savoir plus sur l'auteur du magistral album de l'Ankou (1977). La lecture de la série Spirou par... est également conseillé aux lecteurs de 7 à 77 ans (notamment les Géants pétrifiés de Fabien Velhmann et Yoann, le Journal d'un Ingénu d'Emile Bravo et Panique sur l'Atlantique de Lewis Trondheim et Fabrice Parme). 

 

 

 

* : à l'époque, Rob-Vel (de son vrai nom Robert Velter) était mobilisé dans l'armée belge. Son mari étant au front, c'est son épouse Davine (de son vrai nom Banche Dumoulin) qui a poursuivi les aventures de Spirou dans le journal du même nom.

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