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25 janvier 2012 3 25 /01 /janvier /2012 14:00

Aujourd’hui, nous allons lire le chapitre 25 des Raisins de la colère, roman de Joseph Steinbeck. Publié en 1939 aux Etats-Unis, sous le titre The Grapes Of Wrath, c’est l’un des romans les plus connus de son auteur. En France, ce roman permet surtout le classique calembour « les raisons de la colère », qui fleurit dans les unes à la moindre manifestation. Les Raisins de la colère est avant tout aussi profondément enragée qu’engagée, racontant une famille américaine qui tente de fuir la Dépression en s’installant en Californie.

 Le chapitre 25 se situe dans la seconde partie des Raisins de la colère. Alors que la famille de Tom Joad est arrivée au prix de mille efforts au camp d’accueil de Weedpatch. Omniscient, le narrateur devient pour l’occasion un ouvrier agricole. Il prend la posture d’un paysan, qui scrute les plantes cultivées pour mieux trouver un emploi journalier. Il suit avec attention la saisonnalité des principales cultures californienne, dont la vigne.


Couverture-Raisins-Colere-Joseph-Steinbeck-Grapes-Wrath-Il.png

 

‘‘La Californie : je la veux, et je la vendangerai’’

 

Dès le printemps il constate que « les premières vrilles font leur apparition sur les vignes et déferlent en cascades sur les vieux ceps tordus ». Après la levée de la dormance hivernale viennent les premiers traitements « de leur côté, les chimistes aspergent les arbres pour les protéger des insectes, sulfatent la vigne, sectionnent les plants malades, combattent la pourriture et le mildiou…». Avec le début de l’été, « les fleurs s’épanouissent en longues grappes sur les ceps », puis « les fleurs de la vigne perdent leurs pétales et les petites perles dures deviennent des billes vertes, et les billes s’alourdissent. » Et ensuite...

 

Le lecteur attend l’étape suivante (ou stade phénologique, pour utiliser un grand mot agronomique), l’arrivée à maturité des raisins, puis leur vendange tant attendu par les saisonniers. Mais le ton change imperceptiblement, devenant lourd d’une colère de plus en plus difficilement ravalée. Car « nous ne pouvons pas faire de bon vin. Les gens n’ont pas les moyens d’acheter du bon vin. Alors on arrache les grappes, les bonnes, les mauvaises, le raisin piqué ; tout est bon pour le pressoir. »

 

Le narrateur se contentait de décrire, en bon paysan passif, il commence maintenant à juger. La description des vinifications est particulièrement corsée* (« qu’à cela ne tienne, un peu de soufre et de tannins et l’on n’y verra que du feu »). Le sentiment de bâcler son travail pour réduire des coûts de main d'œuvre devient intolérable. Surtout quand l’objectif est d’atteindre un prix sciemment sous-évalué par le négoce. C’est alors qu’apparaît la force des Raisins de la colère : la compréhension progressive de ce qu’est le vécu d’une résignation sociale et de ce qui advient quand elle n’est plus tenable.

 

Affiche-Raisins-Colerre-John-Ford-1940.png


American wine of life

 

La fin du chapitre 25 donne toute sa force au titre de l'œuvre, en se concluant par ce qui a tout d’une prémonition apocalyptique: « dans l’âme des gens, les raisins de la colère se gonflent et mûrissent, annonçant les vendanges prochaines ». Car il n’y a pas que l’élaboration  rageante des ‘‘vins’’ (« en tout cas, il y a de l’alcool dedans »), il y une critique d’un capitalisme boursier auquel il est dorénavant impossible de se soustraire.

Croyant pouvoir fuir la Crise, les effets du Krach de 1929 et du Dust Bowl, Tom Joad n’aura fait qu’en découvrir les ramifications sans fin. S'il vient de voir le cours des denrées alimentaires dictés par les spéculateurs, il sait également qu'il y a l’endettement et l’expropriation inexorable des petits au profit des gros. « L’année prochaine, ce petit verger sera absorbé par une grande Compagnie, car le fermier, étranglé par ses dettes, aura dû abandonner. Ce vignoble appartiendra à la Banque. Seuls les grands propriétaires peuvent survivre, car ils possèdent en même temps les fabriques de conserve. »

 

 

* : le Jugement de Paris est depuis passé par là, confirmant que les vins californiens ont d’autre qualité que leur niveau d’alcool. Pour rappel, le Jugement de Paris désigne une dégustation à l’aveugle qui s’est tenue en 1974 à Paris. Des dégustateurs renommés y participaient et ont jugé que les vins californiens présentés surpassaient en qualité certains grands crus français.

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commentaires

J
En ces temps de crises le rappel d'histoires (l'Histoire?) est toujours vivifiant et remoralisant. Sans aller jusqu'aux Etats-Unis, les révoltes du Midi Rouge vaudraient également un article ici.<br /> Par les chansons peut-être ?
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A
<br /> <br /> Bonjour Jean,<br /> <br /> <br /> En effet les révoltes viticoles ont été un terreau à des oeuvres partisanes fortes, et intéressantes. Sans aller jusqu'aux chants de mutinerie, un article sur les gravures inspirées de ces faits<br /> pourrait prochainement voir le jour.<br /> <br /> <br /> Pour en être informé, n'hésitez pas à vous abonner à la newsletter ;-)<br /> <br /> <br /> <br />