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21 mars 2012 3 21 /03 /mars /2012 10:55

 

Aujourd’hui, nous allons parcourir les pages du manga Les Années Douces. Dessinée par Jirō Taniguchi, cette bande-dessinée japonaise est l’adaptation d’un roman de Hiromi Kawakami*. Dans l’œuvre originale, la romancière tokyoïte sélectionne quelques unes des rencontres fortuites qui réunissent Tsukiko et un de ses anciens professeur : le maître. Partageant ces dîners autour d’un comptoir à sushis, la trentenaire célibataire et le veuf retraité sont les acteurs rompent la banalité de l’existence citadine par l’instauration de règles et d’habitudes tacites, devenant des cœurs solitaires aux verres solidaires.

Si le pichet de saké s’accorde à la majorité des repas de ces Années douces, le vin y fait une rapide apparition. La force de ce fugitif passage a cependant une rémanence qui dépasse celles que bien des mangas oenologiques ne peuvent espérer effleurer.


Jiro-Taniguchi-Hiromi-Kawakami-Les-Annees-Douces-Vin-Compt.png

 

Dégustation, piège abscons

 

Jirō Taniguchi est un mangaka qui développe depuis les années 1990 une sensibilité accrue dans son traitement de la simplicité et de la valeur de la Vie (lire Quartier lointain ou Le Sommet des Dieux). Cette approche universelle n’est pas sans rappeler celle du réalisateur Hayao Myazaki, notamment dans l’usage du fantastique folklorique (cf. l’épisode des Tengus dans les Années douces). Ces deux artistes partagent d’ailleurs un imaginaire très occidental. Jirō Taniguchi allant jusqu’à adopter un rythme de parution bien plus européen que nippon**. Alors que le mythique mangaka Ozamu Tezuka aurait réalisé plus de 700 séries durant sa carrière, Jirō Taniguchi publie actuellement un à deux albums par an.

 

Le roman des Années douces reposant sur la subtilité des non-dits, le défi pour Jirō Taniguchi aura été de mettre des images sur cette finesse silencieuse, en rien démonstrative. L’épisode sur lequel nous allons revenir en est un parfait exemple. Il s’agit d’un rendez-vous que Tsukiko a avec Kojima (un de ses anciens camarades de collège). Se retrouvant au bar Maeda, ils arrosent leurs huîtres fumées et omelette au fromage de vin rouge (a priori un Beaumes de Venise, peut-être un rosé d’ailleurs...).

 

L’exercice de la dégustation reste ici sensoriel et non charnel. Le moment de complicité devient en effet un triste enseignement. Kojima montre à Tsukiko comment agiter son verre à vin et bonne élève Tsukiko constate bien que « le goût était différent de tout à l’heure. Comment dire ?... C’était une saveur généreuse qui s’offrait à vous. » Mais elle n’y met pas plus de conviction. Transportée dans le monde des adultes, « des grandes personnes », Tsukiko ne veut pas y rester.

 

Durant les 4 pages de cet épisode se trouvent condensé une version adulte et raisonnable des dîners avec le maître. Le parallèle est pur et parfait : on retrouve la gastronomie atypique, les associations mets-alcool, la position assise au comptoir... Sauf qu’ici la position maître/élève n’est pas une douce réminiscence, mais une position de force dictée par la maîtrise des conventions sociales. Le dîner avec Kojima est programmé et attendu, tandis qu’avec le maître, les choses sont spontanées, entendues et ne sont dites que si elles en vaillent la peine.

 

Cette critique policée des convenances est le sage pendant de ce qui émaille Boudu sauvé des eaux (pour vous en convaincre, cliquer ici et là). Sans déflorer l’intrigue de l’ouvrage, Tsukiko évitera de revoir Kojima, préférant prendre le maki, sans que cela tourne pour autant au ‘‘Sex & the Sushi’’. La fin de ces Années Douces possède une délicatesse onctueuse, pareille à la mélancolique évanescence d’un dimanche après-midi,  ou aux arômes ténus d’un vin qu’il convient de ne pas carafer.

 

 

* : en France, le roman est paru en 2003 aux éditions Philippe Picquier (200 pages, 35 €). Le manga a été publié en deux tomes (2010-2011) aux éditions Casterman, dans la collection Signatures. En version originale, l’œuvre s’intitule : センセイの鞄 (le sac du professeur) et ne se lit pas de gauche à droite comme sur l’extrait ci-dessus, mais de droite à gauche.

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commentaires

L
Intéressant de savoir que l'évocation du "vin à l'européenne" est plus présente dans les mangas qu'on ne le croit, ça m'a donné envie de les lire, ces années douces !<br /> Mais il manque pour l'instant ici la série immanquable : les gouttes de Dieu ! C'est peut-être moi fin, mais du vin : il n'en manque point !
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A
<br /> <br /> Bonjour Lili,<br /> <br /> <br /> Effectivement, quand il s'agit de manga oenologique les gouttes de Dieu sont immanquables ! La lecture des Années douces se place dans une autre approche et je me<br /> permets de le conseiller chaudement.<br /> <br /> <br /> A suivre, donc ;-)<br /> <br /> <br /> <br />